Lola Laurianne - Miniatures assos articles (6)

Carnet de bord du Grindhouse Paradise : troisième jour

La fatigue se fait déjà sentir en ce troisième jour de festival. Votre chère et dévouée Dolores se couchant très tard pour terminer la rédaction de ces critiques après le festival — et forçant ses collègues en correction et à l’intégration à faire des heures supp’, la séance du matin devient vite optionnelle. La comédie noire Broken Bird, pourtant alléchante, a donc été la sacrifiée de cette journée. On vous en présente tout de même la bande-annonce avant de passer aux choses sérieuses : Grindhouse Jour 3, on est chauds ! 

Else

Body (et objet) horror réalisé par Thibault Emin
Écrit par Alice Butaud, Thibault Emin et Emma Sandona
Avec Edith Proust, Matthieu Sampeur, Lika Minamoto
Distribué par UFO Distribution

La séance de 14 heures est bien remplie pour un créneau parfois difficile, surtout en semaine. Le public se retrouve donc présent en nombre pour visionner Else, le petit ovni cinématographique du festival. Le Grindhouse Paradise est habitué à nous montrer chaque année des œuvres qui sortent des sentiers battus, et heureusement que des festivals prennent ce risque, car il est payant de mon côté ! Un film qui porte terriblement bien son titre ! Le réalisateur Thibault Emin, présent lors de la séance, nous prévient en introduction : « Ce film a de grandes chances de ne pas vous plaire. « Et pour cause, Else est une création étrange, protéiforme, organique, aux propositions plastiques et esthétiques très fortes. Il se situe aux frontières du cinéma expérimental, mais reste porté par une narration solide : un virus dermatologique se répand dans la population et transforme les porteurs en pierre. Anx se confine avec Cass, amour d’un soir qui devient sa compagne quand leur monde se réduit à l’appartement. Ce pitch qui ouvre la voie à un post-apo existentialiste fait rapidement place à un long-métrage hybride : comédie romantique, body horror, délire surréaliste… Difficile de réduire en quelques mots la richesse d’une œuvre qui aura mis plus de quatorze ans à être créée. Thibault Emin nous a fait le plaisir de venir échanger en sortie de séance et d’éclairer ses influences littéraires — qui vont du manga à Serge Brussollo — et cinématographiques — du Carpenter, évidemment, mais aussi l’obscur (et pépite à découvrir!) film Phase IV. Curieusement, il dit ne pas avoir de pratique artistique en-dehors du cinéma ni être un fin connaisseur, alors que le film transcende souvent le média cinématographique pour devenir par instants sculptural, architectural, pictural ou même un quasi-objet performatif dans son rapport au corps. Else n’est pas exempt de défauts, le rythme est parfois un peu longuet, le propos se dilue un peu dans trop de considérations métaphysiques, et le début est un peu poussif à se mettre en place. Mais il est une vraie curiosité que l’on vous recommande avec un enthousiasme non feint, et une véritable admiration pour cette création unique. Un film-œuvre franchement impressionnant, et un 4/5 admiratif de ma part !

Sew Torn

Polar sur le fil écrit et réalisé par Freddy Macdonald
Avec Eve Connolly, Calum Worthy, John Lynch, K. Callan
Distribué par Koba Films

Un café vite englouti au village du festival le temps de profiter des rayons du soleil, et direction la séance de 16h avec Sew Torn qu’on nous présente comme un polar Coenesque. Une couturière endeuillée par la mort de sa mère se retrouve au carrefour de sa vie quand elle assiste par hasard à un règlement de compte entre dealeurs de drogue. Une mallette pleine d’argent et trois choix s’offrent à elle : simuler un meurtre parfait et empocher le pactole, appeler la police ou sauver sa peau et s’enfuir. Le scénario pourrait être celui d’un thriller assez classique, mais Sew Torn prend le parti d’être une comédie noire à l’humour tranchant et absurde. Peut-être pas assez, d’ailleurs : la salle n’a pas eu de grands fous rires, et le film souffre de gros ventres mous au niveau rythmique qui l’empêchent d’avoir le mordant et le punch que l’on attend pour un film du genre. Ce film a pourtant tout pour séduire avec son esthétique qui pousse la métaphore filée de la couture jusqu’au bout, les fils étant non seulement les fils scénaristiques rendus visibles à l’écran, mais aussi des éléments essentiels de l’intrigue ; l’héroïne se servira de sa boîte à couture comme d’un arsenal pour se dépêtrer de situations complexes. La mise en scène fait aussi la part belle à ces éléments, jusqu’à la musique dont le rythme rapide rappelle la frénésie d’une machine à coudre. Peut-être que l’explicitation constante de ses enjeux plombe aussi trop le film, perdu dans ses chapitres procéduriers et dans sa voix off, qui nous rappelle à chaque instant que le personnage doit faire des choix, des choix, des choix. En nous dévoilant dès le début la fin de chaque choix, le film se tire un peu une balle dans le pied et perd le plaisir du déroulement du fil de l’intrigue. Le fait qu’il soit adapté d’un court-métrage explique sans doute ces petits loupés, car on a la sensation d’assister à un enchaînement de sketches plutôt qu’à un scénario complet. Un divertissement qui obtient un sympathique 3/5, mais qui ne restera hélas pas brodé dans ma mémoire. 

A Different Man

Méta-body double écrit et réalisé par Aaron Schimberg
Avec Sebastian Stan, Renate Reinsve, Adam Pearson
Distribué par Park Circus

Un film A24 sur le sujet de la différence, de l’exclusion et du handicap, autant dire qu’il faisait partie des films que j’avais le plus hâte de découvrir lors de cette programmation ! A Different Man conte l’histoire d’Edward, atteint d’une neurofibromatose, qui va changer totalement de vie après avoir reçu un traitement expérimental lui permettant de perdre les symptômes visibles de la maladie sur son visage. Beaucoup de bruit entourait ce film avant même sa projection, il était donc difficile d’y aller avec un passif neutre — et mon propre amour pour les productions du studio place généralement des attentes assez hautes. J’ai aimé ce film, mais peut-être pas autant que je l’aurais voulu. Le sujet de la difformité au cinéma, en particulier dans le cinéma de genre, invoque énormément d’images connues : on ne peut s’empêcher de penser à un Elephant Man, à Freaks au conte de La Belle et la Bête ou encore à The Whale dans les références plus récentes. A Different Man trouve tout de même sa place dans cet univers surréférencé en abordant frontalement la question de la représentation dans les œuvres, puisque le film a un discours meta. Edward est en effet comédien et ne trouve des rôles que dans des productions qui ont besoin de quotas pour le handicap. Lorsqu’il change de visage, il se retrouve soudain dans une situation totalement inverse. Ce long-métrage questionne sur des sujets pertinents, mais il est parfois un peu flou sur ses propres intentions, le rendant difficile à cerner. L’amour d’Ingrid, la dramaturge, est-il sincère ou relève-t-il d’un fétichisme malsain ? Et si fétichisme il y a, le film en a-t-il conscience ? Edward apprend-il réellement quelque chose à la fin du récit ? Vers le milieu de l’intrigue, nous faisons la connaissance d’Oswald, atteint lui aussi de neurofibromatose, rappelant à Edward qui il était avant sa transformation physique. Et ce personnage est tout ce qu’Edward n’était pas : charismatique, aimé, entouré, plein de talents. Oswald est-il volontairement mis sur un piédestal dans le film pour le rendre trop parfait jusqu’à l’écœurement, ou le réalisateur est-il tombé dans le travers d’iconiser à l’extrême une personne concernée par le handicap jusqu’à lui retirer une part même de son humanité : ses défauts ? Des questionnements qui laissent planer le doute sur certaines intentions de réalisation et qui font qu’A Different Man reste une proposition intéressante, mais loin d’être la claque que je pensais recevoir. 

Azrael

Horreur silencieuse réalisée par E.L. Katz
Écrit par Simon Barrett
Avec Samara Weaving, Vic Carmen Sonne, Nathan Stewart-Jarrett
Distribué par Metropolitan Film

Après de grands questionnements de fond avec A Different Man, il était temps de lâcher un peu du lest avec une séance popcorn parfaite pour clôturer cette journée : Azrael est une production Universal Pictures avec beaucoup de budget et pas beaucoup de cerveau. Dans ce film, l’Humanité est privée de la parole et les survivants errent dans les bois. Des hordes humaines traquent les individus isolés, afin de les sacrifier aux entités étranges qui rôdent. Ajoutez à cela un mystérieux culte satanico-païen à base de bougies, de sang et de petites amulettes en bois, et vous obtenez la base d’Azrael. Bon, qu’on se le dise, le lore n’est pas ultra clair et l’absence totale de dialogues n’aide pas. Le parti pris est honorable, ceci dit, si vous voulez du show don’t tell, vous serez servis ! Moi qui me plains souvent de films trop explicatifs et bavards, j’ai pour le coup plutôt été perdue dans ce film qui, hélas s’ouvre par un carton textuel, souvent significatif de l’échec de réception et de compréhension du public. Des extraits de textes religieux morcellent aussi le film de manière assez arbitraire : il aurait mieux valu que le film tienne son principe de silence jusqu’au bout. Et que dire de l’intervention étrange et incompréhensible d’un personnage parlant au milieu du film ? Ceci étant dit, pour ce qu’il est, à savoir un film d’horreur produit par de grands studios sans grande volonté artistique, Azrael possède une vraie patte esthétique qui tombe en plein dans un revival satanisme des 70’s, et des scènes graphiques poussées avec un niveau de réalisme surprenant. Le casting est globalement assez bon, et même si l’écriture est volontairement un peu simpliste, le film est assez jouissif. La revanche de l’héroïne qui sème tripes et hémoglobine sur son passage termine le film sur un quart d’heure vraiment fun. Une bonne dose d’horreur un peu débile, mais terriblement bienvenue pour cette fin de journée !

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