Le deuxième jour de festival démarre sous une météo plus clémente que la veille, nous permettant de profiter au mieux du village du festival (et de ses cafés bien mérités !). Au programme : de la SF qui explore une relation malsaine, un néo-noir doublé d’un slasher, la première sélection de court-métrage du festival ainsi qu’une dystopie autour de la parentalité. Grindhouse, jour 2 : let’s go !
In Vitro
Science sans conscience réalisée par Will Howarth et Tom Mckeith
Écrit par Will Howarth, Tom Mckeith et Talia Zucker
Avec Will Howarth, Talia Zucker, Ashley Zukerman
Distribué par Koba Films
C’est une salle de taille honorable pour une séance matinale qui accueille ce premier film de la journée, In Vitro, en compétition officielle. Ce long-métrage australien conte, dans un futur plus ou moins proche, l’histoire d’un couple d’agriculteurs en difficulté qui recourt au clonage pour sauver ses troupeaux et ses finances. Une situation difficile qui cache de plus profondes fissures dans leur relation. Le scénario est un peu convenu — on s’attend à peu près à chaque étape importante de l’histoire —, mais la fin est surprenante. Le récit reste, malgré son classicisme, très bien mené et tient surtout grâce à la profondeur de ses personnages. On développe très vite de l’empathie aussi bien pour leur relation défaillante que pour leurs difficultés professionnelles. Le tout est porté par une très belle direction artistique qui propose une vision assez inédite d’un rétrofuturisme basé… sur le début des années 2000. On a la sensation étrange que toutes les technologies nous sont assez proches — écrans plats, ordinateurs, GPS… mais que les interfaces restent cantonnées à ce qui aurait pu se faire en 2005. La commande vocale et le tactile sont quasi inexistants dans cet univers où les graphismes des menus sentent la mélancolie d’un Windows XP disparu. L’esthétisme du film penche aussi du côté du western, loin de la faune abondante d’une Australie sauvage. On lui préfère de grandes plaines d’herbes sèches secouées par le vent, de grands plans contemplatifs sur les troupeaux qui paissent, l’aridité du désert australien duquel on jugerait qu’un Clint Eastwood de la grande époque pourrait surgir. Il est dommage qu’avec ses qualités esthétiques et la profondeur du sujet qu’il traite, le scénario ne soit pas un peu plus fin pour générer plus de surprises. L’interprétation de l’actrice principale Talia Zucker est parfois aussi un peu en retrait face à un Will Howarth magistral en homme rongé par ses démons. On l’aimerait plus expressive, plus viscérale. In Vitro est à « ça » d’être un très grand film à cause de ces petits écueils. Cela reste une bonne séance malgré tout, notée 4/5 à la sortie.
A Desert
Néo-noir horrifique réalisé par Joshua Erkman
Écrit par Bossi Baker et Joshua Erkman
Avec David Yow, Kai Lennox, Sarah Lind
Distribué par Shadowz
A Desert est introduit en début de séance par l’équipe de Shadowz, la plateforme de VOD de cinéma de genre qu’on ne présente plus, avec une promesse alléchante : un film noir néo-Lynchien qui va aussi lorgner du côté d’un Alfred Hitchcock, avec pour toile de fond la photographie. On suit les déambulations d’un artiste à la recherche de clichés lui redonnant goût à son métier, jusqu’à sa rencontre fortuite avec un couple de rednecks aux intentions cruelles. Joshua Erkman, nous dit-on, a réalisé ce film avec un immense soin formel, allant jusqu’à prendre lui-même les instantanés de son personnage. Il s’est mis dans la peau de ce photographe en immortalisant des paysages à la chambre noire, une technique argentique fastidieuse. L’encombrement que génère ce matériel ainsi que les difficultés pour se procurer les produits nécessaires démontre un réel souci du détail qui transpire dans la rigueur plastique du film. Il est indéniable qu’A Desert brille par la composition de ses cadres qui font la part belle à une esthétique brutaliste, ainsi que par la beauté de ses lumières et clairs obscurs. Hélas, on aurait presque aimé qu’il se contente de rester une expérience formaliste presque expérimentale tant le récit et les personnages pèchent. On a rarement vu un tel amoncellement de clichés : les rednecks bien débiles et méchants gratuitement, les enquêteurs bras cassés, un réalisateur de film porno gonzo sorti de nulle part qui semble finalement être le cerveau des opérations… ? On peine à savoir où le film veut nous emmener et le fil rouge photographique, au propos pourtant intéressant sur la duplicité des images, est finalement assez vite abandonné au profit d’une histoire inintéressante et déjà-vue. Ajoutez à cela un rythme volontairement lent et l’ennui pointe très vite le bout de son nez. C’est au final un immense sentiment de gâchis en sortie de séance : comment un film aussi réfléchi sur sa forme peut échouer autant sur le fond ? Une dure note de 2/10 de notre part, qui aurait pu être plus basse encore sans ses cadres sublimes.
Séance de court-métrage : carte blanche à Court Métrange
Place ensuite à la nouveauté de 2025 : une sélection — et compétition — delcourt-métrage en partenariat avec le festival Court Métrange de Rennes. Cette équipe de passionnés propose un festival dédié aux courts de cinéma de genre à Rennes, l’occasion de découvrir de nombreux auteurs émergents. Le programme se compose ici de six films : Prends chair, réalisé en animation et qui va lorgner du côté du body horror pour suivre les pérégrinations d’un ado en surpoids, Cut Me If You Can, une parodie méta de film de genre où des personnages de slashers clichés souhaitent échapper à leur condition, A Fermenting Woman, grand prix du festival Court Métrange 2024, où une cheffe de grand restaurant se voue âme… et corps à sa cuisine, We Joined A Cult, très courte comédie dans le pur humour youtubesque sur deux amis enrôlés dans une secte suite à une partie de softball, Deep Tish où un simple massage vire à l’absurde et enfin Les Liens du sang, règlement de compte familial sur fond d’IA qui pète les plombs. Ma préférence est allée à Cut Me If You Can, qui possède une belle plastique et un humour qui brise le quatrième mur très efficace tout en détournant intelligemment les codes du cinéma. Et c’était une coïncidence totale, mais l’un des deux réalisateurs était dans la salle, puisque toulousain. Point de chauvinisme chocolatinesque dans ce choix cependant, puisque c’est bien la qualité de ce court original et terriblement drôle qui a décidé du choix de vote ! Gros coup de cœur aussi pour Les Liens du sang qui explore un double questionnement beaucoup trop actuel pour notre génération : couper le cordon avec des parents toxiques, et vivre avec des IA qui étouffent de plus en plus nos quotidiens. L’engouement de la salle était palpable et les spectateurices ont répondu présent-es pour cette première séance de court-métrage qui prouve l’intérêt du public du festival pour cette nouvelle proposition !
The Assesment
Dystopie prénatale réalisée par Fleur Fortuné
Écrit par John Donnelly, Nell Garfath Cox et Dave Thomas
Avec Elizabeth Olsen, Alicia Vikander, Himesh Patel, Minnie Driver
Bonjour, c’est Fleur Fortuné et je viens vous foutre UNE GROSSE MANDALE en guise de premier film, ça vous va ? Autant dire qu’elle démarre sa carrière sur grand écran de manière colossale avec The Assesment, l’histoire d’un couple dans un futur dystopique où les naissances sont contrôlées et qui souhaite passer un examen afin de devenir parents. Le film brode cependant rapidement autour de sa trame principale une histoire glaciale qui interroge les fondements mêmes de la survie de notre espèce. Le film aura mis six ans à maturer, ce qui lui confère une profondeur certaine. La séance était suivie d’une rencontre avec la jeune réalisatrice qui a brillé par ses réponses précises démontrant le souci du détail avec lequel le film a été conçu. Il n’y a rien de pire que d’avoir aimé un film et de s’apercevoir que son créateur n’a pas lui-même compris les enjeux de sa création. Fleur Fortuné, au contraire, maîtrise chaque détail de son œuvre, du scénario travaillé à plusieurs mains avec John Donnelly, Nell Garfath Cox et Dave Thomas jusqu’à l’esthétique néo 70’s qui donne un cachet esthétique bourgeois à son film, loin des clichés de maisons glaciales des dystopies futuristes. L’absence de plantes dans l’environnement rend tout de même compte du dénuement du monde, ainsi que la mystérieuse menace d’être envoyé vers l’Ancien Monde en cas de rébellion envers l’État. La réalisatrice est aussi entourée d’un casting incroyable pour un premier film, prouvant la solidité du script qui a séduit de tels acteurices : Himesh Patel et Elizabeth Olsen forment le couple solide et heureux qui se sent prêt à fonder une famille, mais montrent vite leurs bassesses. Alicia Vikander prouve, si cela restait à prouver, son talent incroyable pour incarner un personnage glacial et antipathique, inquiétant, mais aussi terriblement fragile par moments. La fin traîne un peu en longueur et quelques plans un peu trop explicites viennent émailler le film, mais on placera cet excès de démonstrativité sur la fougue de la jeunesse. On ne peut bouder son plaisir d’assister à la naissance d’une future autrice de talent, et c’est donc d’un très solide 5/5 dont nous affublons le film pour le vote du prix du public !
La fatigue m’empêche de me rendre à la dernière projection de la journée : Chainsaws Were Singing, dont nous vous présentons tout de même la bande-annonce. Je termine la rédaction de ces mots à minuit et demi et vous donne rendez-vous demain pour la suite du festival !