Le Grindhouse Paradise est devenu un festival incontournable pour les amateurices de cinéma de genre. La sixième édition, tout en restant à taille humaine dans le cinéma American Cosmograph qui dédie sa salle 1 au festival, marque quelques changements conséquents : 22 films contre 17 l’an passé, une journée de festival supplémentaire ainsi que, pour la première fois, un village du festival à quelques mètres des lieux de projection où se restaurer entre deux séances. Un festival qui grandit malgré une année compliquée, puisque, comme le soulignent Yohann et Johann, les deux organisateurs du festival, les acteurs culturels toulousains se voient amputés de subventions suite à des coupes budgétaires drastiques dans le domaine culturel de la part de la Mairie. Une occasion de souligner d’autant plus l’importance de l’implication des bénévoles, qui permettent à ce genre d’initiatives de continuer à exister dans une période difficile pour les métiers de la culture.
Le festival ne change cependant pas ses bonnes habitudes au niveau de sa diversité, tant en termes de genres cinématographiques qu’en termes de pays et de sujets abordés. La compétition officielle se focalise toujours sur de premiers films de jeunes talents à découvrir, entre une relecture de conte de fées horrifique signé par une réalisatrice norvégienne, une comédie noire dans l’univers de la taxidermie anglaise ou un film de SF ukrainien dans l’espace… Le reste de la programmation fait toujours la part belle à un classique en partenariat avec La Cinémathèque de Toulouse : Le Retour des morts-vivants, des séances en présence d’invités comme la plateforme de VOD horrifique Shadowz, partenaire de longue date du festival, mais aussi pour la première fois une sélection de court-métrage avec une carte blanche au festival Court Métrange. Bref, on a hâte de découvrir ça, et notre rédactrice Dolores, se lance dans un semi-marathon pour tenter de voir le plus de films possible sur ces cinq jours !
The Ugly Stepsister
Conte de fées horrifique écrit et réalisé par Emilie Blichfeldt
Avec Lea Myren, Flo Fagerli, Isac Calmroth, Malte Gårdinger
Distribué par ESC
Un film d’ouverture de festival, c’est toujours un moment sacré, surtout quand on ouvre le festival avec un film en compétition ! Une relecture dans le body horror du conte de Cendrillon du point de vue de la belle-sœur prête à tout pour séduire le Prince alors qu’elle sait que son physique n’est pas son atout majeur. La réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt frappe fort dans ce premier film qui est, à mon sens, ce qu’aurait dû être The Substance. Et oui, contrairement à notre Bagheera, qui a écrit une critique élogieuse du film, j’ai profondément détesté mon expérience de visionnage du film de Coralie Fargeat, en particulier à cause du mépris qu’elle dépeint pour ses personnages. Emilie Blichfeldt, à l’inverse, montre beaucoup d’amour et d’empathie pour cette « belle-sœur laide », prête à s’infliger toutes les tortures pour coller aux standards de beauté. Il était d’ailleurs curieux d’assister aux réactions choquées de l’audience face aux méthodes employées pour une chirurgie du nez, ou bien au recours d’un ver solitaire pour perdre du poids — quand on sait qu’on casse toujours le nez à coup de burin dans les chirurgies, et que les pilules d’œufs de vers solitaires refont surface en vente sur Internet, en particulier dans les communautés pro-anas. Le film n’est donc pas si jusqu’au-boutiste que ça dans les méthodes qu’il présente ; il en montre juste la toxicité et va au plus malsain de ces dérives. La mise en scène sublime tourne en dérision l’esthétique coquette, très en vogue sur Tik Tok, inspirée par le Marie-Antoinette de Coppola : on y retrouve l’ambiance poudrée, les décors foisonnants, les froufrous et les paillettes. Mais les robes, au lieu d’un rose pastel, deviennent bien vite noires. Les tables débordantes de plats alléchants, dignes d’une nature morte flamande, sont vite remplies d’asticots grouillants. Les perruques et les fards ne servent qu’à dissimuler les traces sur des corps éprouvés. Et le Prince, que la protagoniste principale fantasme dans des rêveries sucrées, se révélera lui aussi bien décevant lorsqu’il sera rencontré loin de son palais… Il convient aussi de souligner un casting exceptionnel, de Lea Myren tour à tour adorable et naïve, puis possédée par ses tourments à Thea Sofie Loch Næss en Cendrillon au fort caractère, jusqu’à Ane Dahl Torp, qui campe une marâtre glaciale et brillante. J’ai ADORÉ cette première projection qui inaugure le festival avec un 5/5 dans le vote pour le prix du jury !
The Rule of Jenny Pen
Terreur gériatrique réalisée par James Ashcroft
Écrit par James Ashcroft, Eli Kent et Owen Marshall
Avec John Lithgow, Geoffrey Rush et Nathaniel Lees
Distribué par Shadowz
Le temps d’une petite pause (pluvieuse) au village du festival et nous revoilà en salle pour profiter d’un thriller dans l’univers gériatrique. Stefan, campé par Geoffrey Rush, est un juge reconnu qui souffre d’un AVC en pleine audience. Malgré ses moyens, il se retrouve à passer sa convalescence dans une maison de retraite au milieu de pensionnaires beaucoup plus diminués que lui. Stefan est un homme fier de sa culture et de sa personne : il se met vite le personnel à dos en exigeant une chambre individuelle et en ne tentant de faire la connaissance d’aucun pensionnaire, persuadé de sortir rapidement de cet endroit… Qui deviendra bien vite un piège lorsqu’il découvrira les mystérieuses règles de Jenny Pen, qui fait sa loi dans ce lieu. Le déroulé de ce thriller est assez classique, mais son casting brillant et sa mise en scène soignée en font une petite pépite à découvrir d’urgence. La maison de retraite est un cadre peu vu au cinéma, et relativement peu exploité dans le cinéma de genre : on lui connaît son pendant psychiatrique ou hospitalier, mais plus rarement l’horreur qui peut se cacher dans un hospice calme et paisible, avec un personnel dévoué et aimant. Pas d’infirmière psychopathe, thème vu et revu, mais une terreur bien plus insidieuse où le système de soin devient malgré lui le protecteur d’un persécuteur. Si les motivations derrière les lois de Jenny Pen restent floues et qu’on a peine à croire qu’en tant d’années, personne ne se soit rendu compte de rien, le talent de John Lithgow, qui campe un antagoniste qu’on adore détester, gomme ces petites imperfections scénaristiques. Peut-être le film souffre-t-il d’un effet d’adaptation, puisqu’il s’agit à la base d’un roman d’Owen Marshall, qui prend sans doute plus le temps de développer certains aspects de son intrigue. L’enfermement dans l’établissement est secondé d’un enfermement mental et physique ; Stefan étant de plus en plus affecté par les conséquences de son AVC qui l’empêchent aussi de se défendre en usant de toutes ses facultés intellectuelles. La mise en scène accentue ces pertes capacitives en usant de cuts rapides au milieu d’une scène, d’effets d’échos sonores déroutants ainsi que de jeux sur les décors changeants qui nous perdent au fur et à mesure que le personnage lui-même perd ses repères. Des effets qui ne sont pas sans rappeler le brillantissime The Father, récit bouleversant sur les conséquences d’Alzheimer. The Rule of Jenny Pen est un excellent thriller néo-zélandais que vous aurez la chance de découvrir assez rapidement, puisqu’au moment où sort cet article, il sera sans doute disponible sur la plateforme Shadowz, qui le mettait à l’honneur sur grand écran pour nous ce soir. Une belle clôture pour cette première soirée donc !