Critique(1)

COMPOSITEURS : 1er volet, chapitre 2

Ou : Y’a pas que Hans Zimmer dans la vie.

Cette tribune s’adresse aux néophytes, aux profanes comme aux connaisseurs absolus. Et si vous en avez assez de n’entendre parler des compositeurs de musiques de films et de séries que lorsqu’il s’agit de citer Hans Zimmer, alors cette chronique est faite pour vous. De ses plus célèbres contemporains jusqu’aux artistes de l’ombre dont vous n’avez jamais eu l’occasion de noter le nom (tout en connaissant peut-être certaines de leurs œuvres), retour sur une pléiade qui a fait rêver tout cinéphile/sériephile qui se respecte.

Thomas Newman

• C’est qui ? : Il est né le 20 octobre 1955 à Los Angeles et a des origines russes, par ses grands-parents juifs émigrés à la fin du vingtième siècle. Il entame sa carrière en 1984, et a été nommé treize fois aux Oscars et une fois aux BAFA.

• L’un de ses premiers gros succès notables ? Les Évadés, de Frank Darabont (1994).

• L’un de ses derniers gros succès notables ? The Last Voyage of the Demeter, d’André Øvredal (2023).

• Pourquoi c’est bien ? Thomas Newman est LE compositeur des sentiments intimes par excellence. Particulièrement brillant pour faire passer son lyrisme en musique, il est capable de pousser très loin le paroxysme dramatique de ses compositions. Son travail sur La Ligne verte est un assez bon exemple pour évoquer la puissance symphonique et surtout le tourment des sentiments vécus par un personnage, allié à une pointe de mystique. Sa délicatesse fait de lui un artiste doué à retranscrire avec justesse les émotions de protagonistes féminins seuls, isolés, en proie au doute (Les Noces Rebelles, La Dame de fer…). Il est cependant tout à fait capable de répondre à un cinéma d’action aussi nerveux qu’aux enjeux tout aussi profonds : on pense notamment à Skyfall, dont plusieurs morceaux allient avec brio les mélodies historiques de la saga, et la création de nouvelles trames musicales jouissives et pertinentes. Bien que parfaitement reconnaissable au fil des œuvres pour lesquelles il compose, il a toujours réussi à se renouveler, et à faire montre d’une capacité certaine à diversifier son champ d’illustration.

• Le talon d’Achille : Malgré la qualité de ses productions et ses treize nominations, Thomas Newman n’a jamais remporté d’Oscar, et son nom demeure très peu connu du grand public, malgré la familiarité et le succès de nombreuses bandes-son parmi celles qu’il a composées.

• Les petites anecdotes : Issu d’une famille de musiciens, il est le fils d’Alfred Newman, célèbre compositeur lui-même, nommé quarante-cinq fois aux Oscars et lauréat à neuf reprises. Il devient orphelin de père à l’âge de seulement quatorze ans. Reconnu et distingué pour son écriture très cinématographique, il est salué par ses pairs à ce titre (on peut citer John Williams, Alan Menken et Jerry Goldsmith, entre autres) comme par les réalisateurs avec lesquels il a travaillé.

• Pour découvrir l’artiste :  https://open.spotify.com/playlist/37i9dQZF1DZ06evO0EkboA?si=c523b372ee43419d

Marco Beltrami

• C’est qui ? : Il est né le 7 octobre 1966 à Long Island, tout près de New York, et a des origines grecques et italiennes.  Sa carrière débute en 1994. Il est nommé deux fois aux Oscars, d’abord pour le film 3h10 pour Yuma, puis pour Démineurs

• L’un de ses premiers gros succès notables ? Scream, de Wes Craven (1996). 

• L’un de ses derniers gros succès notables ? Venom: Let There Be Carnage, d’Andy Serkis (2021).

• Pourquoi c’est bien ? Marco Beltrami se démarque par un travail particulièrement intéressant en matière de films fantastiques. Il est amusant de constater que le compositeur s’est attelé à la mission compliquée d’écrire pour des œuvres aux allures de remakes et autres prequels. On pense à Carrie (2013), dont le scénario poussif est compensé par une bande-son inquiétante et maîtrisée dès les premières notes, voire à The Thing (2011). Incapable de se hisser à la hauteur du film d’origine, les propositions de Beltrami reprennent en hommage quelques notes savoureuses des partitions de Morricone, offrant ainsi un épilogue moins douteux que le reste du long-métrage. Artiste discret mais efficace, il s’offre le luxe d’une carrière prolifique, d’un nombre ahurissant de contrats à Hollywood, embrassant totalement les registres de la science-fiction et de l’urban fantasy, tout en s’adaptant avec brio au monde du western lorsque l’occasion s’y prête. Sa présence se remarque jusque sur les productions du petit écran (V, Lucifer…), achevant de le consacrer définitivement comme un compositeur avec lequel on doit compter.

• Le talon d’Achille : Malgré les 105 films sur lesquels Marco Beltrami a travaillé, aucune bande-son n’a émergé ou ne s’est révélée plus qu’une autre. Ses compositions linéaires font de lui un quasi-inconnu pour le grand public, et même une audience professionnelle aurait potentiellement du mal à identifier une ou deux créations « fortes » parmi l’ensemble de son œuvre. 

• Les petites anecdotes : Il a été l’élève du compositeur Jerry Goldsmith, et tous deux sont par la suite devenus amis. C’est à lui qu’on doit le thème du jeu vidéo Fortnite. Son parcours universitaire brillant l’a conduit à se placer sous l’égide du maestro italien et révolutionnaire communiste Luigi Nono. 

• Pour découvrir l’artiste : https://open.spotify.com/playlist/37i9dQZF1DZ06evO4ttMgr?si=e1174b5b803f4684  

Eskmo

• C’est qui ? : Brendan Angelides, dit Eskmo, est particulièrement discret sur sa vie privée, et notamment sur son âge. Il est Américain, né dans le Connecticut. Sa carrière s’envole véritablement à partir de 1999. Il est le père de jumeaux, nés en pleine période Covid, et dont l’arrivée aurait, selon ses dires, eu une énorme influence sur ses compositions et sa vision du monde de manière générale.

• L’un de ses premiers gros succès notables ? Les séries Billions et 13 Reasons Why, toutes deux sorties en 2017.

• L’un de ses derniers gros succès notables ? Le jeu vidéo Assassin’s Creed : Mirage (2023).

• Pourquoi c’est bien ? Eskmo fait presque figure d’alien, dans le monde de la composition musicale dite cinématographique. Il apporte un vent de fraîcheur bienvenue, dans un domaine où il est particulièrement difficile de se faire un nom, une réputation, et de bénéficier d’une carrière aussi conséquente que celle de ses pairs plus expérimentés. La vision qu’il porte à son art semble plurielle. En effet, il prête son ingéniosité à des séries dont le succès mondial l’a fait connaître. On note notamment le générique particulièrement accrocheur de Billions, mais surtout la série 13 Reasons Why, dont les multiples polémiques suscitées par des scènes marquantes et un sujet narratif complexe et sensible ont beaucoup fait parler. L’artiste ne s’arrête pas là, ayant étendu son influence jusque dans le monde du jeu vidéo avec la composition de l’un des opus d’Assassin’s Creed. Ce serait encore oublier une démarche plus personnelle encore : à savoir la création d’un collectif du nom d’Echo Society. L’objectif d’Eskmo est de connecter plusieurs créateurs issus de divers domaines, tous réunis dans le cadre d’expérimentation et de recherche sur le son, sa sensibilisation et sa perception pour les personnes sourdes. Ses inspirations polymorphes et sa grande liberté de composition font de lui l’une des plus grandes étoiles montantes en matière de musique électronique.

• Le talon d’Achille : S’il a réussi à établir quelques partenariats professionnels prometteurs, Eskmo ne s’est pas encore réellement imposé dans le monde du grand écran, ce qui fait de lui pour le moment un compositeur encore plutôt confidentiel et considéré comme produisant des thèmes « niche ».

• Les petites anecdotes : Le pseudo initialement choisi par l’artiste était Eskimo. Il en fait disparaître le « i » après avoir appris qu’un autre créateur en musique électronique avait lui aussi choisi « Eskimo ». Il s’est consacré à la musique dès le lycée, notamment en s’impliquant dans plusieurs groupes. Il a composé pour Darren Aronofsky et son court-métrage Postcard from Earth.

• Pour découvrir l’artiste : https://open.spotify.com/playlist/37i9dQZF1DZ06evO2uL687?si=03c64a4bc2d64dbf

James Horner

• C’est qui ? : Il est né le 14 août 1953 à Los Angeles, et a entamé sa carrière dès 1978. Il est nommé dix fois aux Oscars (lauréat à deux reprises) et six fois aux Golden Globes (avec une récompense). Il décède tragiquement le 22 juin 2015 lors du crash de l’un de ses avions, toujours dans la banlieue de Los Angeles.

• L’un de ses premiers gros succès notables ? Star Trek 2 : La Colère de Khan, de Nicholas Meyer (1982).  

• L’un de ses derniers gros succès notables ? Les Sept Mercenaires, d’Antoine Fuqua (2016).

• Pourquoi c’est bien ? Les qualités symphoniques de James Horner sont indéniables, et l’artiste s’est offert une place de choix parmi ses confrères. Ses partenariats répétés avec James Cameron, Mel Gibson et Ron Howard le font très rapidement connaître du grand public. On pense notamment à la bande-son de Titanic, dont le succès planétaire n’est plus à commenter. Horner est doté d’une extraordinaire faculté pour retranscrire les émotions liées aux tragédies. Qu’il s’agisse du naufrage d’un paquebot, d’une guerre mythologique, d’un génocide sur une planète alien ou d’une enquête périlleuse sur fond de Moyen-Age brumeux, il convoque rapidement l’adhésion du spectateur, par une immersion profonde et ancrée dans le souvenir. Les différents albums signés de sa main disposent largement d’une vie bien au-delà du long-métrage qui les ont fait découvrir dans les salles obscures. Tels de mini-opéras, les multiples pistes déroulent leur histoire sans nécessité de reposer absolument sur un visuel ; un tour de force. Définitivement consacré comme un virtuose populaire, son succès est d’autant plus induit par l’émotion que suscite son décès prématuré, qui met fin à presque quarante ans d’une carrière brillante et, le plus souvent, inspirée.

• Le talon d’Achille : Le travail de James Horner est jalonné du soupçon de plagiat de plusieurs compositeurs avant lui. Tout aussi problématique, il lui a souvent été reproché de plaquer ses propres créations à l’infini, de film en film. Les boucles musicales des films Titanic, Troie, Apocalypto et Avatar sont le parfait exemple de ces répétitions qui posent question. Lorsque certains y voient la patte de l’artiste, jusqu’à définir le concept de « Danger motif » (pour les séquences liées à la mort, à la violence et au châtiment dans chacune des œuvres citées), d’autres y lisent une absence de créativité dommageable pour un compositeur de cette envergure. Si ce débat éternel n’enlève rien à la beauté des pistes concernées, il peut très facilement faire tiquer les connaisseurs en bandes originales au cinéma.

• Les petites anecdotes : Son père, Harry Horner, était déjà lui-même chef décorateur, scénariste, et réalisateur à plusieurs reprises. On lui doit le thème musical d’Universal Pictures entre les années 1990 et 1997. James Horner était considéré comme un pilote expérimenté, et l’enquête liée à son décès implique la prise de médicaments ayant malheureusement altéré ses performances cognitives.

• Pour découvrir l’artiste :
https://open.spotify.com/playlist/37i9dQZF1DZ06evO2eixLa?si=18b08390daa44741

Michael Giacchino

• C’est qui ? : Il est né le 10 octobre 1967 dans le New Jersey. Sa carrière débute en 1994 en composant pour plusieurs jeux vidéo. Il cumule un palmarès respectable de douze nominations et pas moins de neuf récompenses, dont un Oscar, un Golden Globe et un Emmy Award.

• L’un de ses premiers gros succès notables ? La série Alias, créée par J.J. Abrams (2001).

• L’un de ses derniers gros succès notables ? Le Cercle des neiges, de Juan Antonio Bayona (2024).

• Pourquoi c’est bien ? Michael Giacchino a fait une entrée fracassante dans le monde de la composition musicale, se faisant connaître du grand public pour son travail sur de grandes séries populaires. Intronisé par J.J. Abrams via la série Alias, le talent de l’artiste explose littéralement lorsqu’il s’attelle à l’écriture des partitions de Lost, dont on ne présente plus les multiples qualités ni son influence artistique et culturelle considérable sur la fiction télévisuelle. Cette notoriété n’est pas déméritée. Doté d’une ingéniosité que n’aurait pas boudé un James Newton Howard, Giacchino se dépasse, s’alignant harmonieusement à la vision d’un Abrams ou d’un Damon Lindelof en mettant en exergue la puissance d’émotions transcendantales et universelles. Capable de s’adapter au monde du cinéma, sa virtuosité colle facilement aux mondes du fantastique, de la science-fiction comme de l’épouvante. Convoquant les violons, les percussions et les instruments à vent comme personne, il déroule un fil rouge qui ne le quitte pas depuis les premiers pas de sa carrière, et s’est définitivement lié à l’héritage d’une pop culture qui survivra longtemps après lui. Qu’il s’agisse de la saga Jurassic Park, Cloverfield et même Star Wars, La Planète des Singes voire le Batman de 2022, Giacchino s’est taillé une place indélébile parmi les plus grands.

• Le talon d’Achille : Michael Giacchino n’a plus reçu de récompenses significatives pour sa carrière depuis une dizaine d’années, à présent.

• Les petites anecdotes : Dès le début de sa carrière, Michael Giacchino a réussi à impressionner Steven Spielberg lui-même, l’ayant qualifié de « jeune John Williams ». Il est devenu un très proche ami de J.J. Abrams dans le cadre de ses collaborations avec le producteur et réalisateur (qui lui a même offert l’opportunité d’un caméo dans Star Wars épisode VII : Le Réveil de la Force). Doté d’une créativité unique, il compose notamment la bande-son de Lost en utilisant des pièces de rechange d’un fuselage d’avion, produisant des sonorités uniques et ponctuées de cuivres retentissants.

• Pour découvrir l’artiste :
https://open.spotify.com/playlist/37i9dQZF1DZ06evO2xeZDW?si=2fc0ec4656ce4e4b

Hiroyuki Sawano

• C’est qui ? : Il est né le 12 septembre 1980 dans la capitale japonaise de Tokyo. Sa carrière débute officiellement en 2004. Le compositeur cumule seize nominations et onze victoires à son actif.

• L’un de ses premiers gros succès notables ? L’Attaque des Titans, animé dont la saison 1 est sortie en 2013.

• L’un de ses derniers gros succès notables ? One Piece Film : Red, de Gorō Taniguchi (2022).

• Pourquoi c’est bien ? Sawano est l’une des plus grandes figures de la composition musicale japonaise. Sa qualité principale réside en la maîtrise de très nombreux genres musicaux, et notamment l’orchestral, le classique, le rock, le jazz ainsi que l’électronique. L’artiste a réussi à marquer d’une empreinte particulièrement reconnaissable ses créations, et se révèle par une alliance absolument unique entre sonorités passées, contemporaines et futures. On ne peut que songer aux premières saisons de L’Attaque des Titans, œuvre majeure puisant largement dans la culture et les mythes européens ne pouvait que correspondre à la griffe de Sawano. S’il peut être particulièrement délicat de croiser autant de techniques et de séquences musicales à l’origine radicalement différentes les unes des autres, ce génie de l’arrangement parvient à en extraire des mélodies tour à tour pures, viscérales, poignantes, voire épiques, aidé en cela par le juste usage de choeurs et de voix monumentaux. Une fois plongé dans l’univers de l’artiste et de sa patine unique, il devient difficile de revenir en arrière. Sa force artistique ne se contente pas des animés, puisque ses autres projets sont eux aussi imprégnés de cette même signature reconnaissable entre toutes, sans jamais pour autant créer un effet de répétition.  

• Le talon d’Achille : Encore trop méconnu en Occident, Sawano se contente pour l’heure des frontières nippones, sans forcément se projeter en-dehors de sa zone de confort.

• Les petites anecdotes : Sawano a su très jeune qu’il voulait se consacrer à la musique, et a pris la tête de plusieurs groupes lorsqu’il était encore lycéen. Il se dit avoir été particulièrement influencé par le travail de Joe Hisaishi, ayant beaucoup écouté les bandes-originales du studio Ghibli. Il dispose d’une vision unique de son art, et se soucie de la façon dont il la partage, s’amusant notamment à intégrer dans les titres de ses morceaux des chiffres ou des symboles, parfois incompréhensibles. Il désire par ce biais ne pas fixer des images dans la tête de ses auditeurs par des titres trop explicites. Il a précisé par ailleurs avoir souvent écrit ses bandes-originales avant même que le matériau visuel ne soit disponible.

• Pour découvrir l’artiste :
https://open.spotify.com/playlist/37i9dQZF1DZ06evO0rAIo4?si=01ff7d9a2ed74361

La suite, prochainement…

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