Critique (4)

Conversation avec Grégory Laisné : “Je suis fier de ce qu’on a fait pour la saison 4 de L’Attaque des Titans.”

Directeur artistique sur la série d’animation japonaise L’Attaque des Titans (Shingeki no Kyojin), Grégory Laisné double également le personnage de Connie Springer. Comédien prolifique et à la carrière déjà bien remplie, il a accepté de nous accorder un moment. Avec enthousiasme et humour, il s’est notamment exprimé sur sa vision du doublage francophone comparé au doublage japonais, ainsi que sur le travail effectué autour de SNK et de la dernière saison avant les épisodes finaux. 

Vous êtes à la fois comédien de doublage et responsable de la direction artistique. Qu’est-ce que vous préférez entre les deux ?

Ce sont vraiment deux disciplines totalement différentes. La direction artistique, je compare souvent ça à de la mise en scène au théâtre, ou à un réalisateur au cinéma : c’est diriger les interprètes et les amener dans une direction précise, donc c’est différent du métier de comédien, et je ne peux pas mettre les deux en compétition. Après, si on me mettait un couteau sous la gorge et qu’on me forçait à choisir, je dirais comédien, parce que c’est mon métier de base. C’est ce que j’ai toujours voulu faire, c’était mon rêve d’enfance. Mais d’un certain côté, pour moi, directeur artistique ça va avec : c’est comme un prolongement, une branche supplémentaire du métier.

La qualité de l’ensemble du casting VF de L’Attaque des Titans est proprement remarquable. Comment est-ce que vous avez abordé le travail sur cette série en particulier ?

Avec beaucoup de stress ! *rires* Nous sommes deux directeurs artistiques avec Mélanie (Mélanie ANNE, ndlr.), et c’est vrai qu’on était très stressés. On ne s’attendait pas à ce que ça devienne quelque chose d’aussi énorme, mais on savait que c’était un gros truc, que c’était une série attendue. J’avais déjà vu des trailers de L’Attaque des Titans quand j’étais au Japon ; la série n’y était pas encore sortie, mais elle était annoncée là-bas. Déjà, à Tokyo, j’avais dit au copain qui était avec moi et qui était lui aussi comédien : « Il faudrait absolument qu’on soit dessus, je sens que ça va être quelque chose de super ». Les images avaient l’air incroyables, l’histoire aussi, et effectivement ça l’a été. J’ai eu de la chance : on m’a proposé d’être dessus. J’avoue qu’il y avait donc du stress, et notamment parce que l’une des raisons pour lesquelles nous étions deux directeurs artistiques dessus, c’est qu’on ne nous a pas laissé beaucoup de temps pour doubler la première saison. C’était infaisable avec un seul directeur artistique, et c’est pour cela que d’office, on travaillait tous les deux en même temps sur deux plateaux différents avec nos comédiens pour respecter les délais. Et puis, on voulait réussir. On savait que la série était dingue, on l’adorait tous les deux, on voulait absolument faire quelque chose de super. Est-ce qu’on a réussi ou pas ? On ne pourra jamais être objectifs sur notre travail, mais en tout cas, on avait vraiment cette volonté de trouver ce qu’il y avait de mieux.

C’est vrai que vous étiez attendus sur certains passages en particulier. Il y avait de quoi se demander si vous alliez réussir à saisir le cap tout en restant dans du doublage français, car la différence culturelle avec le doublage japonais est assez énorme.

C’est ça la difficulté que beaucoup de pro-VO ne comprennent pas. C’est que la langue japonaise est déjà de base à l’opposé de la langue française. Les intonations ne sont pas les mêmes, la manière de s’exprimer n’est pas la même, donc on ne peut pas reproduire les intonations japonaises, ce n’est pas possible ni naturel, on ne pourrait pas. Et au niveau du jeu même, j’ai visité pas mal d’écoles de théâtres et de studio de doublage quand j’étais à Tokyo, où justement les Japonais nous expliquaient que leur manière à eux d’apprendre la comédie, c’est que tout doit être sur-exagéré, rien ne doit être naturel. Nous, en Occident, on nous apprend l’inverse : tout doit être naturel, tout doit être dans l’émotion, dans le ressenti, dans le feeling. On doit faire ce qu’il faut, on ne doit pas sur-exagérer. On doit rester crédibles. La difficulté du doublage d’animé c’est ça, c’est de trouver cet entre-deux. De temps en temps, je donne des formations de doublage à des comédiens qui veulent se former au manga et à l’animé, parce que ça reste aussi une technique avec quelques différences par rapport au doublage de films et de séries. Et c’est vrai que ce que je leur explique c’est ça : il faut trouver cette ligne, qui est entre le naturel et la sur-exagération. Il faut trouver cet entre-deux où vous allez faire comme les Japonais, à savoir lâcher et y aller à fond, mais en même temps, que ça reste spontané, comme le public occidental en a l’habitude. Parce que si on sur-exagère comme les Japonais – et il y en a qui ont essayé avant et qui l’ont fait –, ça ne passe pas, c’est inécoutable, ça ne fonctionne pas. Je pense très honnêtement que si ça fonctionnait avec les pro-VO, c’est parce qu’ils ne parlent pas japonais, et ils ne se rendent pas compte que c’est juste de la sur-exagération. En français, il faut qu’on trouve la manière de s’adapter. On doit garder l’énergie et l’esprit de la scène, retranscrire l’émotion nécessaire, mais en conservant quand même des codes européens et un jeu naturel.

Est-ce qu’il y a un moment dont vous êtes particulièrement fiers Mélanie et vous, un moment qui vous a marqué et où vous vous êtes dit : « Là, on a vraiment bien géré en termes de doublage » ?

C’est difficile parce qu’on est toujours assez critique sur ce qu’on fait en se disant qu’on aurait pu faire mieux. Je ne vais pas parler au nom de Mélanie, mais personnellement, je pense que là où je suis le plus fier, c’est pour la saison 4.

Elle n’était pas facile en plus, celle-là.

Non en effet. La saison 4 était très dure parce que le ton change, ça devient encore plus sombre, il y a des personnages qui changent radicalement qui sont vraiment à l’opposé de ce qu’ils étaient sur les trois saisons d’avant. Du coup, il y a eu beaucoup de difficultés à gérer, mais aussi beaucoup d’enjeux qui étaient super, autant pour les comédiens que pour les directeurs artistiques. Même si comme pour tout ce que j’ai fait dans ma vie je pense que j’aurais pu mieux faire, je suis quand même fier de ce qu’on a fait sur la saison 4.

Ce n’est pas trop dur de dire au revoir à Connie Springer ?

Alors il nous reste les deux derniers épisodes à doubler (l’interview se déroule en novembre 2023, ndlr.), donc je n’ai pas encore cette notion de fin. Je sais que l’animé est fini, mais je n’ai pas encore ce sentiment que je vais lui dire au revoir. Je l’aurai après avoir doublé ces épisodes, et là, je pense que ça va me faire un pincement au cœur en me disant : « Les gars, ça fait 10 ans qu’on évolue avec ces personnages-là. ». Ça m’a fait ça pour Fairy Tail. Plus que pour L’Attaque des Titans d’ailleurs, parce qu’on doublait Fairy Tail tous les ans, contrairement à SNK où il peut se passer deux ou trois ans sans doublage. Le jour où on a doublé les derniers épisodes de Fairy Tail, je me disais que ça ne pouvait pas être fini après avoir doublé dedans pendant dix ans de ma vie, que ce n’était pas possible.

D’ailleurs, Arnaud Laurent aussi se trouvait à travailler avec vous sur Fairy Tail, je me trompe ?

Si, si, en effet !

Vous avez l’air de bien vous entendre, on a l’impression de regarder une vraie petite bande soudée de comédiens qui fait plaisir à voir.

On est beaucoup à avoir commencé en même temps. Arnaud et moi, on a débuté en même temps dans le doublage. Donc oui, comme dans tous les métiers, il y a des familles de comédiens, où effectivement, on va avoir plus tendance à travailler les uns avec les autres et à bien s’entendre. Arnaud fait partie de ce groupe, avec plusieurs dizaines de comédiens où on partage la passion pour les animés, pour le doublage, et l’envie de bien faire. Il y a une entente particulière qui est assez géniale quand on a la chance de bosser ensemble en plateau. Ce n’est pas souvent malheureusement, parce qu’on travaille la plupart du temps tout seul sur les animés, mais quand on a cette chance d’être ensemble à plusieurs en studio, c’est assez magique.

Un mot sur la fin de SNK ? Que ce soit pour Connie, pour la fin du manga ou de l’animé ?  

C’est dur. Ce serait rendre réel le fait que ce soit fini, et j’avoue que dans ma tête ça ne l’est pas ! Je ne peux pas dire un mot pour la fin, ce n’est pas possible. Pour Fairy Tail, j’ai eu de la chance, ils font la suite, donc ça m’a reboosté ! Mais SNK… Après, peut-être qu’ils pourraient faire un préquel de quelque chose, je ne sais pas si ce serait bien ou pas…

Ou adapter par exemple des OAV (original animation video, ndlr) déjà existants sur L’Attaque des Titans ?

C’est vrai qu’il y avait des side stories comme celle de Birth of Levi, qui n’ont pas été doublées par nous. Ça aurait été bien qu’on nous le fasse faire.

Et ce n’est pas prévu ? [Spoiler !]

De toute façon, on n’est jamais au courant avant que ça ne se fasse… Mais ce que j’aimerais en effet, ce sont des OAV sur certains personnages qui, pour moi, ont été maltraités comme celui d’Ymir. Je trouve sa fin scandaleuse. Ça se règle en quinze secondes, vite fait, pour dire que c’est fini pour elle, mais autrement on ne voit rien, on ne sait absolument pas ce qu’il s’est passé du moment où elle est partie avec Reiner et Bertholdt et je ne comprends pas comment un personnage, devenu important au fil des saisons, peut disparaître comme ça tout d’un coup. Et là, j’avoue je ne m’y attendais pas et je me disais : “mais non y’a bien un moment où on va savoir ce qui s’est passé, où on va nous le raconter !”. Et pas du tout. Dans le manga c’est pareil : on voit une image avec une bulle de dialogue et hop c’est fini, on passe à autre chose. Donc si j’avais un mot à dire ce serait : « Faites-moi des OAV sur la fin d’Ymir, s’il vous plaît ! »

Un énorme merci à M. Grégory LAISNÉ ainsi qu’à l’équipe TGS événements qui nous a offert l’opportunité de cette rencontre.

Bagheera.

Comments are closed.