Critique(8)

The origin : Au commencement était l’(in)humanité

Présenté en première française dans le cadre de la compétition du festival Grindhouse Paradise, The Origin est un film déjà déroutant sur le papier. Il se déroule durant la préhistoire et met en scène un petit groupe d’Homo Sapiens, dirigés par Adem, qui doivent survivre sur un nouveau territoire inhospitalier. La nuit, d’étranges créatures rôdent autour de leur campement. L’urgence de la quête de nourriture et d’abri devient vitale lorsqu’Héron, le jeune fils d’Adem, est enlevé en pleine nuit par ces créatures mystérieuses…

Extrait de The Origin

En dehors d’uchronies avec des dinosaures et de nanars à la sauce Rahan, la préhistoire a été peu exploitée dans le cinéma de genre. La curiosité était donc à son comble et a été récompensée : The Origin a remporté le prix du public du Grindhouse Paradise, amplement mérité tant ce premier film, réalisé par Andrew Cumming et écrit par Ruth Greenberg, est impressionnant de maturité.

Andrew Cumming et Ruth Greenberg  lors de la cérémonie des remises des prix au Grindhouse Paradise
Andrew Cumming (à gauche) et Ruth Greenberg (à droite) lors de la cérémonie des remises des prix. Crédit : L’Écran

Obscurité primale

The Origin est une réussite avant tout par la maîtrise de son ambiance. Il joue sur la terreur la plus primitive de toutes : la peur du noir. Au-delà du cercle de lueurs rassurantes du foyer créé par les flammes, tout peut arriver. La noirceur est intense et profonde, aucune silhouette identifiable ne s’en détache, laissant à notre cerveau le soin de faire son boulot de suggestion pour mieux nous torturer. Selon Andrew Cumming, présent au festival en compagnie de la scénariste Ruth Greenberg, le travail d’éclairage était contraint par la période temporelle du film : il fallait tourner au maximum en lumières naturelles, parfois rehausser ou déboucher quelques noirs avec un réflecteur, mais rester dans une approche relativement minimaliste. Cette sobriété d’effets contribue à donner une texture organique aux images. La sensualité dansante des étincelles est palpable, leur chaleur léchant les visages fermés des protagonistes. Le contraste entre la douceur accueillante des flammes et le vide terrifiant des ténèbres fonctionne d’autant mieux que le long-métrage est souvent filmé en plans très larges, le petit groupe d’êtres humains totalement isolé dans un environnement sinistre.

Image de The Origin face aux flammes
Les flammes pour seul repère et repaire. Crédit : AndrewCFilms

Sinistre, mais sublime : les décors de ce film sont époustouflants, entre une terre râpée par les vents, une forêt de bois morts, un sol argileux grisâtre, des pierres désolées… On pourrait penser que ces décors incroyables sont des images générées par ordinateur, pourtant tout a entièrement été tourné en milieu naturel dans l’Écosse du Nord. Le choix de ce lieu, à l’ambiance mystique et étrange, fait planer une hostilité de l’environnement sur les primo-arrivants, perdus sur un territoire qu’ils ne connaissaient pas et qui visiblement les rejette. Selon Ruth Greenberg, la scénariste, il était important que les personnages se comportent de manière naïve envers leur écosystème, qu’on les sente abandonnés et confus, et que le spectateur découvre en même temps qu’eux ces terres sauvages. Selon Andrew Cummings, plus pragmatique, « tu peux envoyer un singe avec une caméra filmer le nord-ouest de l’Écosse et il fera de belles images ». Pas sûr qu’un singe réussisse à capturer avec une telle maestria le gigantisme de ces falaises, l’obscurité pénétrante de ces bois et la profondeur insondable de ces cavernes… 

The Origin décors
On se laisserait presque aller à dire que c’est une terre… brûlée… Crédit : AndrewCFilms

L’ambiance sonore contribue aussi à ces impressions massives, à ce sentiment oppressant d’urgence. Le film a été travaillé en Dolby Atmos, nous donnant la sensation d’être nous aussi au milieu de créatures qui rôdent, et peuvent surgir à tout moment dans notre dos pour nous emporter. On ne se sent jamais en sécurité, d’autant que le film joue la carte de dialogues minimalistes, de gros plans sur les visages effrayés du petit groupe d’êtres humains et de scènes longues avec peu de musique. Au-delà des bruits inquiétants de pas, de respiration et des craquements de branche, le cri des monstres, croisement entre le piaillement aigu d’un oiseau et le hurlement d’un fauve, est absolument glaçant. Et si la bande originale se fait discrète, ce n’est que pour mieux surprendre lorsqu’elle surgit avec des cors profonds et des cordes striées, effet classique mais efficace pour convoquer une ambiance sinistre. Qu’on se le dise : ça faisait longtemps que je n’avais pas eu aussi peur en regardant un film, la dernière fois étant devant It Follows, qui a également la particularité d’avoir un sound design terrifiant. 

L’origine du mal

La réussite de The Origin ne tient pas qu’à son ambiance parfaite, elle vient aussi de son écriture très fine et de sa fin légendaire. L’histoire prend place dans ce contexte précis, en plein cœur des origines de l’Humanité, pour mieux étudier les racines de la cruauté humaine : on y voit la naissance des oppressions, la hiérarchie sociale s’installer, l’instinct de survie prendre le pas sur l’empathie… Pour la scénariste Ruth Greenberg, il était important de mettre en scène une espèce de domination intemporelle, notamment des femmes, pour montrer qu’au sein de ces infrastructures collectives la manière dont on se traite l’un l’autre finit toujours par avoir des conséquences. Le film pourrait être considéré comme assez pessimiste avec ce portrait d’asservissement immémoriel, mais il y a une part de lumière dans ce récit. De nombreux personnages s’élèvent contre leurs déterminismes sociaux et arrivent à s’en extraire. Le gros effet « coup de poing » du film vient de sa fin. Il est important de vous préserver la surprise, je ne vais donc pas vous dire de quoi il est question. Mais sachez que c’est un des biais d’écriture les plus intelligents que j’ai vus pour parler de l’Humanité dans son ensemble, et que vous traverserez sans doute une longue remise en question en sortant de la séance, puisqu’on touche à l’espèce humaine entière… 

Beyah incarnée par Safia Oakley-Green
Beyah incarnée par Safia Oakley-Green, Crédit : AndrewCFilms

Le film est constellé de références bibliques : le couple qui dirige le groupe s’appelle Adem et Eva. Les discussions tournent autour du « paradis », ils désignent l’endroit où ils sont arrivés la « terre promise ». Ils considèrent les créatures comme des « démons » et du « Mal », rhétoriques chrétiennes par excellence. Pour Ruth Greenberg, la volonté était moins de faire des références directes au livre sacré que de donner au spectateur un moyen d’identifier aussitôt les rapports entre les personnages. Les premières minutes du film sont très intenses, il était donc primordial d’aider les spectateurices en utilisant des référentiels parlants. Si les noms et situations sont volontairement emprunts d’imaginaires chrétiens, Ruth Greenberg semblait amusée par ce que son inconscient a produit comme symboliques involontaires, comme ce clivage entre le Bien et le Mal. Plutôt ironique pour un film qui parle des déterminismes sociaux et des comportements primitivement ancrés en nous d’avoir tout cet impensé biblique dans son écriture !

Il convient enfin de parler de l’excellence du travail réalisé en termes de prospection historique. Selon Ruth et Andrew, la volonté n’était pas de créer un film réaliste, mais d’exploiter un contexte propice à développer la thématique sur la violence de l’être humain. Pour autant, ils se sont entourés de consultants historiques qui ont validé le projet, en ayant en tête qu’ils avaient une marge de manœuvre conséquente, les spécialistes n’étant de toute manière pas d’accord entre eux. Cette période historique étant très floue et peu de certitudes existant à son sujet, c’est une bataille de théories sur lesquelles ne se prononcent pas les deux créateurs. Il aurait été facile au vu de ces imprécisions de tomber dans des clichés exploités jusqu’à la moelle, des hommes bêtes à moitié nus, ne s’exprimant que par grognements, aux gestes patauds et à la réflexion primaire, en passant par des rituels incompréhensibles et une bestialité évidente… Pourtant, des décors aux costumes en passant par la réalisation admirable des costumes, ces Homo-Sapiens des premiers temps nous ressemblent beaucoup. Un langage, le tula, a été créé spécialement pour le film par des étudiants. En donnant à ce groupe des codes culturels proches des nôtres, nous sommes à plus forte raison concernés par leur sort… Et le message de fin en est d’autant plus fort. Nous ne parlons pas d’êtres étranges et éloignés de nous, mais de l’Humanité dans son entièreté dont la cruauté n’a pas tant évolué au cours des siècles.

Le vrai Alone in the Dark de The Origin
Le vrai Alone in the Dark. Crédit : AndrewCFilm

Glaçant, percutant, maîtrisé de son écriture jusqu’à ses visuels incroyables, The Origin est un film impressionnant pour une première réalisation, et mon préféré du Grindhouse Paradise. J’ai été très heureuse que le public ne s’y soit pas trompé et lui desserve un prix largement mérité. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour qu’une fois sa tournée des festivals accomplie, The Origin trouve sa place pour une distribution en salles où je m’empresserais de retourner l’y voir… Et j’espère que vous aussi !

Andrew Cumming et Ruth Greenberg devant l’American Cosmograph
Andrew Cumming et Ruth Greenberg devant l’American Cosmograph. Crédit : L’Écran

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