Critique (6)

Entretien : DISCO BOY – LIONEL MASSOL “Nous signons des personnalités et des singularités, plutôt que des scénarios ou des coûts.”

À l’occasion de la sortie du film DISCO BOY, nous avons eu la chance de nous entretenir avec son coproducteur, Lionel MASSOL (Films Grand Huit). L’occasion de revenir sur la genèse du film, sa collaboration avec le réalisateur Giacomo Abbruzzese et sa vision du métier de producteur. Entretien.

L’affiche du film ©Allociné..fr

Synopsis : Prêt à tout pour s’enfuir de Biélorussie, Aleksei rejoint Paris et s’engage dans la Légion étrangère. Il est envoyé au combat dans le Delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village. Si Aleksei cherche une nouvelle famille dans la Légion, Jomo s’imagine être danseur, un disco boy. Dans la jungle, leurs rêves et destins vont se croiser.

DISCO BOY aborde la thématique de la guerre de manière originale, en particulier en revisitant la relation entre ennemis. Comment le réalisateur a-t-il traité ce point de vue ?

Giacomo ABBRUZZESE, le réalisateur, a voulu faire un film de guerre atypique, en montrant le point de vue des deux camps, à la fois celui de Jomo et celui d’Aleksei. Il explore comment l’adversaire peut être vu comme un partenaire, et non comme un ennemi. En fin de compte, le film explore une part intime de soi. Giacomo a une approche très visuelle de la mise en scène, avec des paysages magnifiques et une sensibilité aux corps et à la sensualité. C’est ce qui donne à son travail sa signature unique.

Il y a en effet un rapport au corps très important avec ces scènes de danses. Comment s’est déroulé le processus de création de ces dernières ?

Lors de la préparation du film DISCO BOY, Giacomo a rencontré le chorégraphe nigérian Qudus ONIKEKU lors d’une représentation au Centre Pompidou sur l’idée de réincarnation, élément présent dans le film. Giacomo a été immédiatement séduit par le travail de Qudus et a décidé de travailler avec lui sur les chorégraphies du film. Franz ROGOWSKI, qui joue Aleksei, est danseur à la base, ce qui a été l’une des raisons pour lesquelles il a été choisi pour le rôle. Son magnétisme incroyable et son expression corporelle fascinante ont également convaincu Giacomo. En revanche, Laetitia KY, qui joue Udoka, et Morr N’DIAYE, qui joue Jomo, ne sont pas danseurs. Il a donc fallu que Qudus propose quelque chose qui puisse marcher avec des non-danseurs. Giacomo a demandé une danse qui soit à la fois abstraite et qui puisse être interprétée aussi bien dans une boîte de nuit à Paris que dans un village du delta du Niger.

On sent également que le spectateur est actif durant son visionnage. Pourquoi sa place est importante dans le film ?

Giacomo parvient à maintenir l’attention du spectateur tout au long du film en le rendant actif et en le surprenant constamment. Le film commence comme un film naturaliste, mais le réalisateur introduit rapidement des ruptures pour amener le spectateur à découvrir de nouveaux personnages et situations. Même à l’intérieur des scènes, il y a des éléments inattendus, comme dans la scène où Aleksei creuse quelque chose dans le sol et on ne sait pas ce que c’est. C’est au spectateur de créer ses réponses. De cette façon, le réalisateur veut offrir une expérience de visionnage inédite. Cette approche peut parfois dérouter, mais c’est ce qui rend le film passionnant.

Franz ROGOWSKI, le Joaquin PHOENIX allemand. ©Lalibre.be

Légende : Franz ROGOWSKI, le Joaquin PHOENIX allemand.

Pourquoi le réalisateur a-t-il mis en place la thématique de la Légion étrangère dans son film ?

Giacomo s’est intéressé à la Légion étrangère en raison de son caractère international et de son rapport à la discipline et à l’entraînement physique, qui font écho à celui du danseur. La camaraderie entre les légionnaires est également un élément important pour le réalisateur, qui met en avant la confiance et le soutien mutuel au sein de ce corps militaire composé d’étrangers. Le choix des dialogues est également particulier, avec des personnages qui parlent un français approximatif en raison de leur origine étrangère. Le consultant légionnaire a apporté son expertise pour renforcer le réalisme des scènes d’entraînement et de camaraderie. Cependant, le film ne glorifie pas la guerre, bien au contraire.

Le film aborde également des sujets de société sensibles tels que l’immigration, le colonialisme, le MEND (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger) qui a vraiment existé. En tant que producteur, avez-vous une marge de manœuvre pour discuter avec le réalisateur sur ces sujets délicats, ou laissez-vous carte blanche ?

En tant que producteurs, nous cherchons toujours à raconter des histoires qui font écho au monde d’aujourd’hui. Les questions sociétales sont donc très importantes pour nous, et cela a été un élément clé du travail de Giacomo depuis ses débuts. Le thème de l’immigration et de l’étranger est au cœur de son travail, étant donné que lui-même a été un étranger en France. Les sujets abordés dans le film sont très importants, mais ils ne sont pas polémiques. Pour ce film, nous n’avons pas eu besoin d’avoir des discussions spécifiques sur ces sujets, mais pour d’autres projets, nous travaillons en collaboration avec les distributeurs pour trouver la meilleure approche. Pour ce qui est du MEND, il s’agit d’un mouvement de lutte écoterroriste qui a été une des premières forces politiques à utiliser les vidéos et les médias pour obtenir la sympathie du public. Cette réflexion sur l’image est ce qui a intéressé le réalisateur.

Morr N’DIAYE interprète le charismatique leader du MEND, Jomo ©cafedesimages.fr

Le film semble avoir été influencé par plusieurs genres cinématographiques, notamment le film de guerre, mais aussi le polar, le film d’horreur… La scène en vision thermique rappelle Predator de John McTiernan, le plan vu de dessus de l’hélicoptère fait penser au plan de la voiture dans Zodiac de David Fincher. En tant que producteur, avez-vous connaissance des différentes influences cinématographiques du réalisateur ? 

Bien sûr, il y a eu de nombreuses influences cinématographiques sur le film, et il serait difficile de toutes les citer. On peut penser à Apocalypse Now de Francis Ford COPPOLA qui est une grande référence, ainsi que Beau Travail de Claire DENIS en raison de la présence de la Légion étrangère. Cependant, le réalisateur a également été influencé par la littérature, comme le livre Au cœur des ténèbres de Joseph CONRAD ou des écrits de Blaise CENDRARS. Il a également été inspiré par les films d’Apichatpong WEERASETHAKUL, qui ont une façon particulière de filmer la jungle, des films tels que La nuit nous appartient de James GRAY pour les scènes de boîte de nuit ou encore Neon Demon de Nicolas WINDING REFN dans cette esthétique néon et la musique électro de VITALIC.

Comment s’est déroulée la collaboration avec le compositeur de la musique du film ? A-t-elle été mise en place avant ou après le tournage ?

La collaboration avec le compositeur VITALIC a été mise en place avant le tournage. Après avoir lu le scénario et les références que Giacomo lui a données, VITALIC a commencé à composer plusieurs propositions de musique. Pendant le confinement, il a travaillé sur son album et a continué à travailler sur la musique du film. Avant le tournage, Giacomo a choisi un thème musical qui est devenu le thème principal du film. Pendant le tournage, Giacomo faisait écouter la musique aux comédiens et à l’équipe technique pour s’imprégner de l’ambiance musicale. Après le montage, Vitalic a composé d’autres morceaux pour d’autres moments moins clés du film.

Laetitia KY intrigante dans le rôle de Udoka ©premiere.fr

Le film se déroule au Niger, avez-vous pu tourner sur place ?

Malheureusement, il était trop dangereux de tourner avec les comédiens au Niger. Nous avons donc utilisé des plans de drone pour filmer certaines scènes là-bas. Pour recréer les décors, nous avons eu beaucoup de consultants pour être au plus proche du réel. Les scènes avec les acteurs ont été tournées principalement à La Réunion et parfois à Cergy-Pontoise, comme la scène du kidnapping des ingénieurs français. Nous avons voulu tourner dans des endroits où nous pourrions obtenir un rendu artistique cohérent pour ces séquences clés. Pour des raisons de production, tourner en France était également important pour nous. La force de Giacomo, selon moi, c’est de transformer les contraintes en opportunités. Par exemple, la scène d’affrontement n’a pas été tournée comme dans un film d’action traditionnel, mais avec l’idée de la caméra thermique, ce qui donne un résultat original et surprenant. Les contraintes de production, de budget et de sécurité ont été surpassées pour favoriser l’inventivité.

Comment s’est passé le passage de la réalisation de courts métrages au long métrage pour le metteur en scène ?

Le passage du court au long métrage peut être difficile pour certains réalisateurs, mais dans le cas de Giacomo, cela s’est bien passé. Ses courts métrages étaient déjà assez longs, entre 25 et 30 minutes. Nous avons vu son potentiel à travers ces travaux et avons eu confiance en sa capacité à réaliser un long métrage. En tant que jeunes producteurs, nous avons pris le pari de produire son premier long métrage, car nous avons la conviction qu’il est quelqu’un qui comptera dans le monde du cinéma.

Photo de tournage sur l’île de la Réunion ©freedom.fr

Comment le budget a-t-il été établi pour le film Disco Boy, étant donné que c’est un premier film avec un réalisateur ambitieux et une proposition radicale de cinéma ?

En tant que 3ème producteurs français du film, nous avons trouvé que le projet était très ambitieux pour un premier long métrage. Au départ, le film était considéré comme infaisable, car il n’était pas en français, n’avait pas d’acteurs connus et était tourné dans plusieurs pays différents. Le film avait quelques financements, mais pas assez. Lorsque nous avons récupéré le film, il y avait environ 800 000 à 1 million d’euros en place. Nous avons finalement trouvé 3,5 millions d’euros en ouvrant beaucoup le film à d’autres pays européens et en allant chercher de l’argent en Belgique, en Italie et en Pologne. Nous avons dû repenser la configuration de production pour y parvenir, mais malgré tout, le budget est resté petit pour un film de cette ambition. Avec seulement 30 jours de tournage, cela a été difficile, mais nous avions prévu de faire le film même avec un budget réduit à 1,8 million d’euros. Le fait de discuter de ce qui était fondamental et important pour le film a guidé toute la préparation, même lorsque nous avons commencé à dépasser les 2,5 millions et les 3 millions d’euros. Nous avons maintenu notre pacte initial avec Giacomo et avons pu faire les bons choix en termes de rajouts et de ce que nous aurions à sacrifier pour tenir le plafond de financement par rapport à l’ambition du film.

Comment parvenez-vous, en tant que producteur et directeur de production, à découvrir de nouveaux talents et à dénicher des pépites ?

En effet, lorsque nous avons créé notre société il y a huit ans, nous ne voulions pas faire comme les autres, car ces derniers étaient déjà plutôt compétents dans leur domaine. Nous cherchions à nous démarquer et à créer une approche unique. Nous essayons de construire des relations avec les auteurs et les réalisateurs avec lesquels nous travaillons, mais nous nous intéressons également aux formes plus courtes, comme les courts métrages, qui peuvent être produits dans des écoles ou autoproduits. Nous sommes souvent à la recherche de réalisateurs qui ont une vision et un goût précis, et qui peuvent apporter une singularité à leurs projets. Nous prenons des paris sur des talents émergents qui ont fait de superbes films d’école, ou qui ont travaillé comme chef opérateur, assistant-réalisateur ou même régisseur, mais qui ont une vision précise. Nous signons des personnalités et des singularités, plutôt que des scénarios ou des coûts.

Le film a été récompensé à Berlin de l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique pour Hélène LOUVARD la chef opératrice du film. Cela a-t-il eu un impact positif sur la distribution ?

Hélène était présente dès le début du projet et a donné beaucoup de force et de confiance à Giacomo, car elle a toujours cru au potentiel du film. Qu’elle obtienne ce prix, c’est symboliquement magnifique. Sa gestion de la lumière est d’une sensibilité qui me laisse sans voix. Cela a eu également un impact positif sur la visibilité du film. Charades, notre vendeur international, est satisfait des ventes réalisées à Berlin et qui seront complétées à Cannes. Le film a déjà été vendu dans une vingtaine de territoires. Les festivals sont également un endroit où le film peut trouver son public, et il a été très bien reçu jusqu’à présent.

Hélène LOUVARD recevant l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique à la Berlinale 2023 ©youtube.com

Avez-vous d’autres projets en cours de développement après DISCO BOY ?

Oui, nous avons un autre projet en cours de postproduction, que nous avons tourné en Colombie l’été dernier. Nous espérons pouvoir le présenter dans des festivals à la rentrée 2023 ou début 2024, avec une sortie en salles peu de temps après. Il est difficile de donner une date précise pour le moment, mais nous espérons pouvoir en parler plus en détail bientôt.

Merci à Lionel MASSOL pour cet entretien captivant. Merci à l’American Cosmograph d’avoir organisé cette rencontre. Merci également au Web Toulousain, Radio Présence et Les fiches de Monsieur Cinéma pour la qualité des échanges.

Je vous recommande chaudement de découvrir DISCO BOY en salle.

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