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Inside de Bo Burnham : Faire culpabiliser par le rire

Après avoir analysé les séries médicales et leur succès, je me devais de parler d’une œuvre qui m’a bouleversée il y a de ça quelques mois. Il y a certaines productions que vous voyez et vous savez. Vous savez qu’elles vont vous suivre pour le reste de votre vie et devenir un pilier dans votre imaginaire et dans vos références. Inside  a une place de choix dans celles-ci. Je me suis mangé une claque à la Will Smith, une gifle, un tsunami alors que je ne m’y attendais absolument pas. Partie de simples commentaires sur Twitter mis en avant par le compte officiel de Netflix, me voilà à vous proposer cet article afin de vous convaincre de regarder Inside. Parce qu’il s’agit d’une belle dinguerie à absolument (re-)découvrir.

Inside ? Quèsaco ?

Bon, avant de vous sortir toutes les raisons du monde d’aller voir Inside, il serait peut-être adéquat de vous en parler avant afin de mieux visualiser la chose. Cette « spéciale » comme l’appelle son créateur Bo Burnham, homme formidable et incroyablement talentueux au passage, est un parfait mélange entre stand-up, chansons, comédies et moment de vie. Le comédien aborde à sa manière divers sujets notamment la pandémie, moment où la spéciale a été réalisée. Parler de relations humaines ou de la place des réseaux sociaux dans ce contexte devient alors un impératif, sans pour autant tomber dans le cliché ou prendre un ton moralisateur. Inside va vous mettre à terre par le nombre de questions que cela fera naître en vous. Le regarder une seconde fois sera alors nécessaire afin de comprendre tous ces commentaires et ces subtilités. La crise existentielle ne sera jamais loin durant le visionnage.

Le film de l’album ou l’album du film ? © youtube.com

Mise à nu d’un artiste

Bo Burnham se met véritablement à nu durant cette spéciale (aussi au sens propre, oui, oui). Il se dévoile comme il ne l’a jamais fait à travers des petites interventions filmées entre les chansons ou dans celles-ci directement. Sujet aux crises de panique depuis son dernier spectacle Make Happy, Bo Burnham n’est pas remonté sur scène depuis cinq ans et revient avec cette suite présente sur Netflix. Cette pause lui a permis de prendre du recul sur sa situation d’homme mais aussi d’artiste et de mieux en parler, d’être pertinent.

Chaque mot, chaque parole est réfléchie pour nous faire comprendre ce qu’il ressent. Connaître ce détail sur lui nous amène à avoir de la compassion pour lui. Inside est vraiment un outil permettant au spectateur de se sentir proche de l’artiste, permettant à sa manière de l’accompagner et d’assister à ces moments de doutes, de grandes incertitudes et même de craquages. Nous sommes  réellement témoins d’une cassure dans la santé mentale de l’artiste. Le voir pleurer à ne pas savoir quand la création de l’œuvre que nous voyons sera terminée, le voir briser des choses de colère et de frustration, ce sont toutes ces petites choses-là, mises bout à bout, qui nous font nous questionner sur notre place face à lui.

Bo Burnham debout de profil, micro à la main nimbé de lumière bleue
Un travail fait entièrement seul © Vox.com

Cette spéciale est capitale, nécessaire pour son auteur. Créateur ayant des pensées sombres et une santé mentale en déclin, Inside est une sorte de cadeau ultime pour le spectateur.L’artiste se dévoile comme il ne l’a jamais autant fait au cours de sa carrière. Apprendre que la création de cette œuvre finale est un outil lui permettant de ne plus penser à ces envies suicidaires nous interroge sur la santé mentale des artistes et nous fait d’autant plus comprendre que cette œuvre est viscérale. C’est une preuve d’humanité, de travail et de confiance entre Bo Burnham et le spectateur de l’œuvre ; Une sorte de pacte implicite entre les deux permettant à l’un d’expliquer clairement son ressenti depuis tant de temps et à l’autre d’être diverti tout en étant poussé à la réflexion.

Bo Burnham est en perpétuelle remise en question, revisionne à divers moments son travail des mois ou semaines précédentes mais aussi des vidéos de lui performant jeune.Prenant du recul sur son travail, il se remet alors en question afin de proposer le meilleur pour le spectateur et ainsi davantage le respecter.

Pour connaître l’humour de Bo Burnham et ce qu’il se cache derrière,il faut visionner son clip où il réagit à lui qui réagit à lui qui réagit (oui oui). Reconnaître ces privilèges et le fait d’être prétentieux est analysé par lui comme un mécanisme de défense :  

« J’ai tellement peur que des critiques soient portées contre moi que je me les inflige avant que quelqu’un d’autre ne le fasse. Et je pense que, ‘Oh, si je suis conscient d’être un connard, cela me rendra moins un connard. »

Bo Burnham, allongé à même le sol en position fœtale, couverture sur lui, tête sur l'oreiller. Un micro est posé non de sa bouche. autour de lui un bazar de câbles et machines diverses
Un long travail de création © cnet.com

Des chansons à ajouter dans ma playlist Spotify

La particularité de Bo Burnham est de ne pas faire ces stand-up de manière classique, c’est-à-dire simplement avec sa voix et quelques blagues (je suis un peu réductrice héhé). Il place la musique au centre de ces sketchs, nous motive avec des rythmes catchy pour finir par te remettre en question au travers d’un texte piquant là où ça fait mal ; Rire ? Bien sûr, mais pourquoi ne pas apporter de la réflexion à tout ça ? Si je devais vous parler de chaque musique, ce que je ferais avec grand plaisir, vous seriez encore là dans une semaine. Or, en tant que grosse gaga d’ Inside  je me devais de vous en conseiller quelques-unes :

  • « Comedy » : première chanson majeure de la spéciale traitant de la place du rire et de la comédie dans le contexte qu’était le confinement. Monde devenant trop sérieux et macabre, faut -il encore se permettre de rire de tout ? Pensant que la catastrophe est imminente, pourquoi ne pas finalement rire ?

Healing the world with comedy

Making a literal difference, metaphorically

I swore I’d never be back, and now, I’m back on my feet

And I’m healing the world with comedy

  • « Welcome to the internet » : chanson traitant, vous vous en doutez, d’internet. Elle dépeint tout le bazar que représente ces réseaux interconnectés. De test pour savoir quel power-ranger vous êtes à des photos des pieds de femmes célèbres en passant par les réseaux sociaux, tout sera balayé dans cette chanson avec toujours une pointe d’ironie.

Could I interest you in everything all of the time?

A little bit of everything all of the time?

Apathy’s a tragedy, and boredom is a crime

Anything and everything, all of the time

  • « Funny feeling » : avez-vous déjà ressenti cet étrange sentiment ? Celui de la déréalisation. Être à l’extérieur de votre corps en train de regarder un monde semblant irréel s’effondrer sans ne rien pouvoir faire. Cette chanson décrit ce sentiment au travers de divers exemples

Total disassociation, fully out your mind

Googling « derealization, » hating what you find

That unapparent summer air in early fall

The quiet comprehending of the ending of it all

  • « Goodbye » : une des dernières chansons de la spéciale, elle met véritablement en avant le fait de terminer un projet aussi long que celui-ci et son côté cathartique. Faire un spectacle comique seul chez-soi quand personne n’est là pour rire est-ce véritablement intéressant ? Les rôles s’inversent enfin et le public prend la place de celui devant créer.

Well, well, look who’s inside again

Went out to look for a reason to hide again

Compte à rebours

Un compte à rebours se lance dès le moment où nous commençons à regarder Inside. Nous regardons l’artiste se lancer dans la création d’une œuvre cathartique permettant de calmer ses pensées sombres, nous le voyons passer par des hauts et des bas, mais surtout par ces moments de doute. Réussira-t-il à finir ce spécial avant ses trente ans ? Non. Six mois qu’il est dessus et il est loin d’en avoir terminé. Dès ce moment, dès l’instant où minuit s’affiche sur son radio-réveil, son angoisse remonte de plus belle et ne fait que de se décupler jusqu’à la fin, ou du moins jusqu’à « All eyes on me ».

« All eyes on me » ou l’apogée de la spéciale

Un regard pour le spectateur © variety.com

Si vous deviez ne retenir qu’une chanson de cette spéciale, ce serait celle-ci. Si vous ne voulez pas regarder la spéciale mais comprendre son but, écoutez celle-ci. Bo Burnham n’a jamais été autant à son paroxysme que durant cette chanson. Il y parle de sa relation avec son public, mais aussi de celle qu’il a avec lui-même. Bo, d’une voix distordue, fait face à son anxiété, s’interroge sur son état mental et se rassure comme il peut. Représentant la dépression, « All eyes on me » est le point culminant de la descente aux enfers, à cet état de colère et de tristesse que Bo Burnham ressent depuis ses trente ans, depuis que le public n’est plus là pour le soutenir.

Cette musique nous fait pénétrer dans les pensées de son créateur mettant  en avant son besoin de validation de notre part. Comme il le dirait lui-même, cette anxiété fait désormais partie du spectacle et n’est plus une enclume risquant de tout gâcher. Cette anxiété est en cohabitation dans cette chanson avec le ton alarmiste qu’à Bo Burnham durant toute la spéciale. Le confinement nous a renfermés sur nous-même et nous a fait oublier tous les problèmes majeurs comme le réchauffement climatique.

Are you feeling nervous?

Are you having fun?

It’s almost over, it’s just begun

Don’t overthink this, look in my eye

Don’t be scared, don’t be shy

Come on in, the water’s fine

Avoir peur de continuer mais avancer

Rester chez soi pendant le confinement fut un calvaire pour beaucoup mais avoir enfin la possibilité d’enfin sortir et de faire face à un monde plus ou moins changé nous a créé une angoisse. Cette angoisse pour la suite, de ce qui nous attend et une angoisse de ne peut être pas réaliser tout ce que l’on voulait. Bo Burnham a durant toute la spéciale la peur de la fin, la peur de ne plus travailler sur Inside et  de n’avoir plus rien pour occuper ses pensées. Un retour à la vie normale aussi difficile que la sortie du confinement.

Terrifié à l’idée de sortir dans « Goodbye », tous les leitmotivs des chansons précédentes reviennent, nous faisant revivre toutes les émotions vécues mais l’encourageant à sortir. Ainsi, tout est prêt, l’œuvre peut être dévoilée au monde et ainsi créer une angoisse à l’idée d’enfin présenter un tel ouvrage travaillé depuis aussi longtemps. Sans vous spoiler le dernier plan de la spéciale, celui-ci nous satisfait, mais sème le doute sur le ressenti final de Bo Burnham.

Pour conclure cet article, je suis dans le même cas que Bo Burnham. Écrire un article sur une œuvre vous ayant autant marqué durant autant de temps m’apaise mais m’effraye rien qu’à l’idée que je n’ai pas pu représenter et vendre comme il se doit cet épisode déjà culte. Je n’ai même pas pu parler d’autres chansons incroyablement pertinentes, c’est à vous de les écouter. Inside a profondément résonné en moi et j’espère résonnera tout autant pour vous.

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