Fifigrot 2019, Interview avec Sébastien Marnier, réalisateur de L'Heure de la sortie

Interview Fifigrot 2019 – Sébastien Marnier

Nous avons eu la chance de rencontrer dans le cadre du Fifigrot – Festival Grolandais de Toulouse Sebastien Marnier, le réalisateur d’Irréprochable et de l’Heure de la sortie. Ça tombe bien, car nous avons toutes deux adoré ses films. L’occasion de faire un point sur ses volontés cinématographiques, sur ses influences et ses futurs projets pour le moins alléchants… 

Listener : On a revu vos deux films, Irréprochable et L’Heure de la sortie, et on a le sentiment d’une sorte de paradoxe entre d’un côté, une caméra très sensible voire sensuelle, et en même temps des personnages qui sont souvent très taiseux et qui cachent ou ne disent pas leurs sentiments…

Sebastien Marnier : Assez froids, ouais. Oui c’est vrai, aussi bien dans la mise en scène que dans ce que je demande aussi aux acteurs : c’est vraiment un engagement du corps, je trouve que le corps des acteurs, déjà j’ai très envie de filmer ça, mais en plus, je trouve que ça raconte tellement de choses. On a parfois le sentiment dans le cinéma français que les acteurs jouent seulement de là à là (il désigne le haut du corps).

C’est vrai que l’un des points communs entre les personnages de Marina Foïs et de Laurent Lafitte, c’est qu’ils sont extrêmement sportifs. Ce sont des personnages de taiseux qui ont quand même une vie intérieure très, très intense et c’est une manière aussi pour eux d’expulser, de sortir des choses de toute cette frustration. Toute cette chorégraphie des corps, même chez les jeunes de L’Heure de la sortie, c’est ce que j’aime le plus mettre en scène. Sur Irréprochable, j’adore cette histoire, mais vraiment ce qui était le plus important pour moi, c’était de filmer le corps de Marina Foïs dans des endroits, vraiment dans des lieux, c’est aussi bête que ça. 

Listener : C’est finalement proche d’un metteur en scène chorégraphique…

Sébastien Marnier : Oui, oui, puis c’est vraiment des tête-à-tête avec les comédiens, particulièrement avec Irréprochable, il n’y a pas un plan du film où elle n’est pas en fait. C’est comme ça, un corps-à-corps, une danse. 

Dolores : Puisque vous parlez de l’omniprésence des lieux, il y a un lieu particulier qu’on retrouve sur les deux films, c’est la nature, au sens très large. C’est à la fois un lieu de ressource pour le personnage, en même temps c’est un lieu destructeur, parce que dans les deux films, c’est l’endroit de la mort. Ça nous a fait penser, ce rapport à la fois urgent, de retour à la nature et en même temps ce rapport destructeur, à toutes les nouvelles théories autour de la collapsologie… Vous vous retrouvez là dedans ? 

Sébastien Marnier : Oui, oui, après, ce sont des choses qui se construisent en fait au fur et à mesure. C’est comme ce que je disais à l’instant sur les envies qui sont des choses très simples de pourquoi on veut faire un film, ben c’est vrai qu’au départ, avant de parler de collapsologie, de théorie de l’effondrement, et de tout ça, l’envie, c’est de filmer une nature luxuriante mais qui renferme tous les dangers. C’est comment filmer quelque chose qui a l’air si paisible et si régénérant, comment cette nature est à la fois empoisonnée par les psychologies des personnages, et traverse en même temps ces personnages. Après, L’Heure de la sortie, c’est le sujet du film, la destruction de la nature. 

Mais sur les envies de base… on va généralement trouver, dans les films qu’on adore, qui sont des références, plutôt des films très nocturnes, très poisseux, très pluvieux etc., et moi, dans les deux films le point commun c’est effectivement d’être dans une nature… comment trouver dans la mise en scène… comment réussir à faire ressentir une angoisse et vraiment utiliser des codes du film de genre dans une nature justement luxuriante, très estivale. Et en  même temps décalée dans les deux films, parce que dans les deux cas, on est en temps de canicule. Il y a quelque chose de très oppressant et c’était assez drôle, parce que dans les deux tournages, on était vraiment en temps de canicule. Il y a quelque chose que moi j’utilise et adore, c’est comment ça oppresse aussi les corps, comment on sent que tout le monde est un peu “en effort”. Et dans la classe de L’Heure de la sortie, il faisait réellement 50 degrés ! C’est quelque chose qu’on utilise aussi. Et quand Marina court des heures et des heures en pleine forêt, elle court sous 45 degrés en plein cagnard… et c’est quelque chose qui est difficile pour l’acteur et en même temps c’est important et ça donne vraiment une sensation très étrange. C’était intéressant récemment avec Midsommar, justement, tout le discours de Aster, c’est cette envie d’utiliser vraiment l’opposé de ce qu’il avait fait dans Hereditary, justement avec un truc très pastoral, et comment on peut faire naître l’angoisse dans de telles situations. 

Dolores : … Justement puisque vous parlez de cinéma de genre…

Listener : Ce sont deux films de genre, et on sait que le CNC a ouvert une nouvelle subvention pour favoriser le cinéma de genre est-ce que vous pensez que ça peut aider justement à favoriser sa place en France ? 

Dolores : Ou au contraire l’enfermer dans une case…

Sébastien Marnier : C’est exactement ce paradoxe. À la fois, tout ce qui va donner des impulsions est bienvenu, mais ça veut dire quoi aussi, que c’est pas des films comme les autres ? Et surtout, chaque année, c’est sur des thématiques différentes. La première année, c’était vraiment sur les films de genre, les thrillers, films noirs, même de science-fiction, et cette année… c’est sur la comédie musicale, donc c’est quand même assez particulier comme truc. 

Et à la fois c’est vrai que d’obtenir de l’avance sur recettes pour un film de genre, c’est pas facile, donc ça ouvre un nouveau guichet. Mais je trouve que c’est faire un schisme qui devrait pas exister. Toute la difficulté du financement de mes films, c’est que généralement à chaque guichet, on demande “c’est un film de genre ou c’est un film d’auteur ?” et cette question m’exaspère, parce qu’elle n’a aucun sens. Mes films sont à la fois des films d’auteur et des films de genre. Des films de genre d’auteur, qui ne sont pas non plus dans les clichés des films de studios américains. 

Je sais que c’est compliqué, on a aussi une lucidité sur le marché de ce genre de film mais en même temps je trouve qu’il se passe des choses qui sont hyper intéressantes. Moi je suis plutôt plus optimiste en fait, pas par rapport forcément au CNC même si c’est une première étape, mais de toute façon la question du genre en France elle sera centrale dans quelques années. Parce que déjà dans ma génération, on est plusieurs à se poser ces questions-là, on n’est pas obligé de faire des films de genre qu’on a déjà vus mille fois, on peut vraiment faire des films d’auteur et de genre. Mais par contre, particulièrement avec la nouvelle génération qui arrive, elle sera absolument centrale, parce que tous les jeunes ont envie de faire des films de genre. Même à la Femis aujourd’hui ils ne parlent que de ça. Et c’est très bien parce que de toute façon, il faut aussi, à un moment donné, qu’on renoue quelque chose avec le jeune public en fait, qui déserte quand même les salles du cinéma français. Quand je dis ça c’est pas simple, mais je pense que c’est la seule manière de les faire revenir en salle. 

Dolores : Vous voulez dire que les comédies genre les Tuche, ça ne suffit pas à faire venir le jeune public ! (rires)

Sébastien Marnier : Les Tuche est une bonne comédie, après je suis un peu perdu sur les jeunes générations, sur ce qu’ils vont voir au cinéma. En même temps, on a la preuve que les films d’horreur américains n’ont jamais aussi bien marché parce que (et c’est sur cette question les exploitants et notre petit monde du cinéma ne prennent pas du tout leurs responsabilités) les jeunes, l’expérience collective de la séance de cinéma, ils adorent ça encore ! C’est bien la preuve que le cinéma de genre ou la comédie permet ça de vivre une expérience collective, où on va avoir tous peur ensemble… parce que le film d’horreur où on est tout seul devant sa tablette, c’est beaucoup moins intéressant. Franchement, quand on va voir une comédie, le spectacle est aussi dans la salle : c’est jubilatoire de voir les gens rire autour de soi, et je crois que cette expérience est pas du tout terminée et que c’est à nous aussi de faire ce travail-là, de proposer et d’essayer aussi de prendre le public en compte dans nos films. Je trouve que le cinéma français parfois est un peu déconnecté du public. Et en même temps je dis ça, mais L’Heure de la sortie n’a pas bien marché en salle… il y a de vraies difficultés aussi, nos films seraient en anglais, ils seraient tout à fait traités différemment, je pense qu’il y a une question de langue, et d’acteur aussi, qui fait que pour les plus jeunes, il ya quelque chose de très très bourgeois et très déconnecté.

Dolores : Dans vos deux films, il y a une omniprésence de la musique, très “Carpenter-esque” dans l’influence, quelle est la place que vous lui accordez ? 

Sébastien Marnier : ça fait très cliché de dire que la musique est inspirée de Carpenter, mais en même temps c’est la réalité ! *rires*. Je trouve que la place de la musique et du son dans le cinéma français est extrêmement pauvre. J’ai toujours voulu faire du cinéma, et le cinéma, c’est 50% de mise en scène d’image, et 50% de mise en scène sonore. Dans tous les films que j’ai aimé, qui ont été au centre de ma cinéphilie, le son a une place très importante.

Même quand j’ai lu le livre dont L’heure de la Sortie est adapté, (NDLR : L’heure de la sortie de Christophe Dufossé), j’ai tout de suite pensé déjà à des sons. Mes deux films, ce sont des films d’ambiance, toute la création avec notre monteur son du sound design, où je lui dis que j’ai toujours besoin de bruits parasitaires, de décharges électriques, de choses qui donnent à ressentir vraiment viscéralement ce que traversent le personnage, c’est essentiel pour mon travail.

Pour la musique c’est très différent, parce que je ne peux pas du tout anticiper ce que vont faire les musiciens. Même si moi je leur donne des pistes, je reste assez profane. Je suis mélomane mais je ne compose pas du tout de musique, donc je vais leur parler par images, par sensations, par associations d’idées… C’est vrai que sur L’heure de la Sortie, vu qu’on avait déjà fait un film ensemble, j’avais déjà expérimenté quelques instruments avec eux, j’ai pu les diriger en disant “ça c’est super intéressant, j’aimerais qu’on aille plus loin avec ça”’… 

Ce que j’ai énormément aimé dans l’approche qu’on a eu avec Zombie Zombie, c’était aussi la volonté qu’ils créent toute la musique, c’est à dire même ce qu’on entend à la radio, ce qu’on entend dans la boîte de nuit… Et même si pour eux ça peut être proche d’un travail de commande, par exemple faire une musique de boite de nuit c’est pas forcément ce qui les habite profondément, ça reste des recherches qu’ils feraient pas si on faisait pas ce film ensemble et qui les enrichissent. Comme les scènes de chorale aussi dans l’Heure de la Sortie, on s’est quand même retrouvé à faire des chorales avec des gamins, c’était insensé ! Et en même temps le fait qu’ils composent l’intégralité de la musique, sur L’Heure de la Sortie par exemple y a 62 minutes de musique ce qui est absolument énorme, c’est ce qui donne aussi une sorte de cohérence en terme de sonorités. Ça vient à la base de problématiques financières parce que, de toute façon, on a pas suffisamment d’argent pour acheter de vraies musiques de boite de nuit, mais d’un seul coup de cette contrainte, on en fait une force ! 

Listener :  On a vu que vous aviez un projet de “thriller familial sur la fin du patriarcat”, ça nous a parlé. Est ce qu’on peut en savoir un petit peu plus ? 

Sébastien Marnier : Pas beaucoup plus que ça ! *rires*. Le scénario est fini, moi je suis en casting là, et effectivement c’est un thriller au sein d’une famille complètement dysfonctionnelle, surtout avec une figure de patriarche très toxique, mais tout le monde sera très toxique dans le film. J’avais très envie de chercher comment faire un film d’épouvante avec ce thème là, c’est comme si d’un coup Fête de Famillede Cédric Kahn devenait un truc de zombies en fait ! Bon ça va pas aller jusque là sinon on arrivera jamais à financer le film, mais l’idée c’est : comment on peut empoisonner des genres cinématographiques ? Un film de famille c’est un genre très codifié, et comment on peut le faire imploser ? 

Une autre rencontre pour comprendre le cinéma de Sébastien Marnier


Dolores : Surtout en France, où ce genre est très codifié et exploité 

Sébastien Marnier : Ouais, complètement. Et là arriver dans cette famille barjo, complètement horrible, avec un seul homme, ce sera le seul homme dans le film d’ailleurs, tous les figurants et les autres personnages seront des femmes, ce sera centré autour de portraits de femmes, et que tout implose… ça va être excitant. 

Listener  : On sait que vous écrivez aussi; vous êtes romancier en dehors de votre travail de scénariste. Quel est votre rapport à l’écriture dans un cas comme dans l’autre ? 

Sébastien Marnier : C’est vrai que la littérature j’y suis venu dans un moment de désespérance absolue, je réussissais pas à monter des films, j’avais écrit plusieurs scénarios et j’avais très envie de me coltiner un travail d’écriture qui soit pas codifié comme le scénario. Le scénario ça reste avant tout un outil de travail. J’ai rencontré beaucoup de gens dans tous les salons qu’on a pu faire, on rencontre plein d’auteurs, j’étais assez épaté, étonné, de découvrir qu’on écrivait pas du tout de la même manière tous, et qu’on pouvait tenir une histoire par une envie de mots.

Moi j’ai toujours eu besoin de construire un canevas, et à la fois j’avais besoin d’un endroit où je pouvais, si je le voulais faire une scène de 100 pages. Ça m’avait fait énormément de bien de m’éloigner du scénario balisé. Après c’est vrai que c’est une approche complètement différente, je suis pas sûr du tout maintenant d’avoir le courage de réécrire des livres parce que même si le scénario prend énormément de temps, c’est un travail très besogneux, laborieux, mais je sais que la finalité est l’expérience collective. Alors que la finalité du livre, elle reste complètement solitaire, même si on rencontre des gens et tout ça…

Maintenant comme idée, comme projet, j’aimerais essayer d’adapter mes propres livres. Certainement d’ailleurs que mes livres ont été envisagés par moi même comme des films sans que je me le dise consciemment à l’écriture. Mais c’est vrai que c’est une expérience très onaniste en fait, alors que dès qu’on est sur le tournage, là c’est la grosse partouze *rires*

Moi j’ai toujours voulu faire du cinéma pour ça, parce que c’était le seul art collectif. Et j’aime cette idée de prendre des collaborateurs qui sont tous, à leur échelle, des artistes.  Et c’est cette rencontre, cette alchimie de cette équipe là qui fait que le film il est ce qu’il est. C’est quelque chose que je trouve absolument magique et qui m’émerveille encore toujours. 

Dolores : Vous parliez tout à l’heure justement de votre rapport aux compositeurs de musique, mais ce rapport à ce collectif-là, ça fait que vous essayez de travailler avec les mêmes personnes, ou vous aimez au contraire explorer de nouvelles pistes ? 

Sébastien Marnier : Par exemple pour les musiciens j’ai tout de suite eu envie de retravailler avec eux parce que c’était absolument merveilleux. Sur L’Heure de la Sortie quand ils ont trouvé le thème musical central du film, c’est des émotions hyper intenses, on se dit “j’ai écrit, griffonné dans mon bureau ces trucs et d’un seul coup ils me proposent un truc opératique comme ça, incroyable “. Du coup ça amène énormément d’émotion, moi j’ai envie d’en être le premier spectateur. 

Ça a été le cas sur plusieurs postes en fait, par exemple sur la chef costumière avec qui je trouve qu’on fait un travail très singulier que j’adore, et j’ai très envie de retravailler avec elle. Parce que les gens, surtout aux cérémonies genre César, vont toujours reconnaître le travail de costumes historiques, mais créer et trouver une vraie esthétique de costumes quotidiens contemporains, c’est un vrai travail. Chaque vêtement de chaque gamin dans L’Heure de la Sortie ou la tenue de Marina Foïs dans Irréprochable vient raconter énormément de choses sur eux. Ça crée des figures qu’on oublie pas aussi grâce aux vêtements, ou sur les coiffures qui sont hyper importantes dans mes films. Pour moi ça raconte beaucoup de choses sur les personnages. Les racines noires de Marina dans Irréprochable qui grandissent progressivement au fur et à mesure de l’avancée de sa solitude, ça vient raconter son exclusion, son mal être…

Et puis c’est aussi des rencontres, par exemple le chef opérateur avec qui j’ai travaillé sur L’Heure de la Sortie, qui est pas le même que celui de Irréprochable, je pense qu’on va faire beaucoup de films ensemble parce que y a beaucoup d’accointance, de points communs qui font que je suis émerveillé quand je découvre le cadre qu’il a envisagé. Quand je vois l’image sur le plateau, je me dis “il a trouvé exactement l’endroit qu’on voulait” et ça, cet émerveillement, je veux pas le perdre. C’est pour ça aussi que le film prochain, qui est plus gros que mes précédents films, apporte plein de difficultés supplémentaires. Et je crois que ce sera la dernière fois que je travaillerais comme ça. Moi j’ai envie de revenir à des productions beaucoup plus petites, je crois que c’est vraiment quelque chose qui me correspond, j’ai pas envie de devoir faire des compromis pour X raisons parce que d’un seul coup on a un plus gros budget  Je suis le capitaine du navire mais en même temps j’ai envie d’être étonné, d’être bouleversé par ce que les gens vont me proposer.

Merci à Sébastien Marnier de nous avoir accordé du temps pour cette interview, et merci au festival Fifigrot – Festival Grolandais de Toulouse de nous avoir donné cette opportunité. Irréprochable et l’Heure de la Sortie, les deux films de Sébastien Marnier réalisés jusqu’à présent, sont à retrouver en DVD et Blu-Ray.

Entretien réalisé par Listener et Dolores

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