Dans le cadre du Toulouse Game Show, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Pascale Chemin, actrice et comédienne de doublage (voix française de Rose Byrne et doubleuse dans l’univers de Mass Effect, L’Attaque des Titans, etc.). En plus de venir saluer un public venu nombreux pour la rencontrer, elle a également animé la conférence : L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET LE RISQUE POUR LE MÉTIER DU DOUBLAGE. Un moment important de ce salon 2023, qui lui a permis d’exprimer sans détours ses convictions et sa volonté de se battre pour une législation en faveur de la protection des comédiens. Petit aparté pour prolonger la réflexion sur un enjeu primordial : l’IA et ses ravages dans le milieu artistique.
C’était une conférence très intéressante hier. Le sujet peut être très douloureux à la fois pour vous, comédiens, et même pour le public qui affectionne le doublage français. C’était très agréable de vous voir aussi engagée. Quand vous vous êtes exprimée pour dire que : « L’IA, c’est de la merde », on pense tout de suite aux dénonciations sur la nourriture bas de gamme de Jean-Pierre COFFE.
J’ai été interviewé par Konbini il y a quelque temps et c’est là que j’ai dit « c’est de la merde en barre » ; ils l’ont mis dans leur teaser. Tout le monde m’a dit qu’en effet ça faisait très Jean-Pierre COFFE et son « c’est de la merde ! », et c’est pour ça que je le garde exprès et que je le revendique en disant au micro : « C’est de la merde en barre », en tout cas dans le domaine artistique. Moi, je n’y connais rien, mais je suis confrontée à ça et j’aimerais que des comédiens montent au créneau, parce qu’on se fait quasiment tous piquer nos voix. C’est très compliqué parce que la France ne légifère pas, il n’y a pas de législation par rapport à ça. On peut intenter une action en justice, mais même si l’on est dans notre droit, on risque d’être débouté au tribunal, car on ignore comment la France va légiférer par rapport à l’IA et à son usage. Tout doit être réglementé. On a besoin de ça ! Est-ce qu’on considère que c’est du vol ou pas ? Est-ce qu’il faut du consentement ou pas ? Le droit français dit que notre voix nous appartient. C’est dans notre code civil (article 9, ndlr). À partir de là, comment on fait ? Puis, éthiquement parlant, philosophiquement parlant : c’est quoi l’art ? Est-ce que la machine peut remplacer l’humain ? C’est une avancée technologique, il n’y a pas à discuter. Mais est-ce que c’est de l’art ?
Disposez-vous déjà d’une base solide de comédiens pour constituer un vrai mouvement et revendiquer avec vous ?
Oui, mais c’est compliqué parce qu’on ne peut pas connaître l’issue de ce combat. Nous ne sommes pas contre le fait que des parodies se fassent en utilisant nos voix, mais nous n’acceptons pas que ça se fasse dans notre dos. Il y a une grande différence entre un imitateur et ça. Par exemple, Les Guignols de l’Info mettent en scène des marionnettes et des imitateurs qui reprennent des tics de langage, etc. Donc c’est une parodie acceptable. Là, ce qui m’embête, c’est qu’on reprend des images réelles et qu’on fait croire que ce sont les comédiens qui parlent. On rajoute un peu d’IA là-dedans, qui change totalement le sens initial ou qui en rajoute. Donc quand les gens commencent à prendre ma voix pour dire « Abonnez-vous à ma chaîne » (donc plus d’abonnés, plus de vues, donc plus d’argent pour eux…), est-ce qu’on m’a demandé mon avis ? Est-ce que j’ai envie de faire de la pub pour ça ou pas ? J’ai quand même un droit là-dessus. Jusqu’au jour où quelqu’un va se dire : « Tiens, j’vais raconter une connerie et je vais faire dire à ce personnage-là un truc monstrueux » (racial, politique…) en se servant de ma voix. Ce sont les dérives qu’on déplore. Certains comédiens sont déjà rentrés en contact avec des gens pour dire : « Non ! Là, tu clones notre voix, donc c’est de la contrefaçon ! ». La contrefaçon est interdite en France. Et là, nous sommes mis devant le fait accompli. On doit d’abord nous demander la permission.
Vous aimeriez donc que plus de comédiens s’engagent dans ce combat ?
*Sourire* Il ne faut pas avoir peur quand on est dans notre droit.
Si vous pouviez vous adresser de manière générale au public qui vous suit, et qui parfois ne se rend pas compte de ce qu’il fait en utilisant votre voix via l’IA pour des parodies, qu’est-ce que vous leur diriez ?
Il n’y a en effet pas de volonté de nuire, mais il y a une méconnaissance sur les droits. Ce qui me fait de la peine, c’est quand quelqu’un dit : « Woah, t’es l’boss d’avoir réussi à faire ça ! » Alors de manière informatique peut-être, mais par contre pour faire ça, ta base, ton ingrédient, c’est une matière qui a été volée. Donc s’il n’y a pas l’ingrédient de base, on ne peut pas faire une bonne recette. Si on n’achète pas de la viande, on ne peut pas faire un bon rôti. Donc, là, on dit que le rôti est fabuleux, mais le mec, il a piqué de la viande avant. Dans 99 % des cas, les gens n’ont pas les droits d’interprète pour publier ça, puisqu’un artiste interprète a des droits d’auteur. Non seulement, ils n’ont pas les droits, mais ils touchent au droit de la personne : deux choses sont bafouées. Le public peut applaudir, mais il applaudit un truc qui est volé. Donc, qu’au moins ils le sachent, et si vraiment les gens aiment tant que ça les VF et les voix des comédiens, c’est surtout pas en les détournant et en applaudissant les détournements faits malgré nous que ça nous aide. Moi, j’en ai fait des détournements, mais on m’a appelé, on m’a demandé, et j’ai donné mon consentement.
On termine sur une note un peu plus joyeuse avec la fin de l’anime L’Attaque des Titans dans lequel vous doublez Annie Leonhart. Est-ce que votre performance vous a demandé un effort particulier, compte tenu de la discrétion du personnage qui contraste avec votre tempérament très dynamique ? (attention, SPOILERS)
Ce qui m’a demandé un effort particulier, c’est qu’en fait, quand on m’a auditionné pour le rôle, on m’a donné des adjectifs en disant : « Elle veut être la première, elle est déterminée », etc. Avec ça, j’ai fait une proposition vocale qui peut correspondre (ou pas) au personnage. La proposition a été acceptée et validée par le client. À partir de là, on reste là-dessus. Et moi, je me disais, mais cette fille, on n’arrive pas à la saisir. Je n’arrivais pas à entrer en empathie avec elle. Et au moment où elle sort de son cristal (D’ailleurs, quelle idée d’aller dans un cristal, je ne parlais plus ! *rires*), et qu’elle explique sa vie et son enfance, on se dit : « Ah ouais. » Donc en fait là-dessus, sur cette chose qui est pleine de blessures, de doutes, elle s’est forgé une espèce de carapace. Le personnage devient plus sympathique, me permettant d’entrer en empathie avec lui. J’ai finalement découvert le « pourquoi » d’Annie assez tard.
Un énorme merci à Mme Pascale CHEMIN ainsi qu’à l’équipe TGS événements qui nous a offert l’opportunité de cette rencontre.
Bagheera.