Critique

Rencontre avec Boris Rehlinger: “Joaquin Phoenix est l’un des plus grands acteurs du monde.” 

Dans le cadre du TGS 2023, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Boris Rehlinger, doubleur français de nombreux acteurs tels que Colin Farrell, Jason Statham et notamment Joaquin Phoenix. Alors que le dernier film de Ridley Scott, Napoléon, est sorti il y a quelques semaines dans les salles françaises, nous avons recueilli sa vision du personnage historique comme de l’acteur qui l’incarne.

Qu’est-ce que vous avez pensé de ce film controversé et de votre expérience lors du doublage de Joaquin Phoenix à cette occasion ?

D’abord, j’ai eu la chance de voir le film chez Dubbing Brothers (le studio d’enregistrement, ndlr) avant d’enregistrer, ce qui devient assez exceptionnel. Ensuite, c’est Ridley Scott, et il n’en est quand même pas à son premier court-métrage. *rires*. La réalisation est formidable, tout comme les acteurs. C’est vrai que Joaquin Phoenix campe un Napoléon un peu surprenant. Ce n’est pas forcément l’image iconique qu’on s’en fait. Le film dure deux heures et demie, mais au départ il ne devait pas sortir au cinéma. Il a été produit par Apple, et il devait rester sur sa plateforme (Apple+, ndlr). La version initiale de Ridley Scott fait 4h30. Il a donc dû faire un autre montage quand Sony a racheté le film pour la distribution dans les salles. 

Alors c’est vrai que l’histoire est énormément axée sur la relation avec Joséphine de Beauharnais et puis sur l’homme, le stratège de guerre. Le scénario manque un peu de code civil (en référence aux très nombreuses institutions créées par Napoléon Bonaparte en France), mais peut-être que cet aspect sera évoqué dans la version de 4h30. Après, on en fait un dictateur… Oui, c’est vrai qu’à un moment c’est quelqu’un qui a eu ce que j’appelle la mégalotextose, mais il faut rappeler par exemple que le compositeur Chopin vouait une admiration sans borne à Napoléon. La Pologne n’arrêtait pas de se faire envahir, et c’est la première fois que Chopin a obtenu un passeport et a pu voyager. Stendhal a pour sa part couvert la campagne d’Italie (donnant lieu au roman La Chartreuse de Parme), où les soldats Français étaient accueillis à bras ouverts. Certains sont même restés et ont fondé des familles.

Ce qui est bien montré dans le film, c’est que souvent Napoléon lui-même veut la paix. Seulement, quelqu’un qui “sort de rien”, avec un accent corse, qui tout d’un coup va à l’encontre des règles établies et des royautés européennes… Les monarques ont eu peur, ce qui obligeait invariablement le général à faire la guerre. Après, c’est un personnage qui est extrêmement décrié, notamment à cause du Code noir, mais il faut aussi préciser qu’il n’a jamais tiré sur les pyramides. Il respectait trop la culture locale. Il y a aussi des erreurs de date, mais ça reste du grand cinéma : comme dans la façon de filmer la bataille d’Austerlitz, qui est géniale. Et puis Joaquin Phoenix… quel acteur.

Oui, puis on se rappelle de Gladiator, film qui avait été très critiqué pour certains anachronismes, et qui reste un chef-d’œuvre…

Oui c’était d’ailleurs mon ami Bruno Choël qui avait doublé alors Joaquin Phoenix (qui incarnait le rôle de Commode, ndlr).

Vous me faites une transition parfaite : qu’est-ce que vous avez pensé de sa performance dans Gladiator ?

Déjà, il faut savoir que Bruno et moi nous sommes amis, et c’est un excellent acteur. Puis, j’ai commencé à doubler Phoenix dans The Yards, Two Lovers, puis La Nuit nous appartient. Même si on a la chance de doubler des acteurs, ils ne nous appartiennent pas. Mais c’est vrai que c’est une chance pour moi de le faire régulièrement depuis Joker.

@SonyPictures

Vous aimeriez continuer de le doubler le plus longtemps possible, de préférence ?

C’est toujours un souhait, parce que c’est tellement extraordinaire. Quand on me dit que ma performance est géniale dans Joker, je réponds toujours que le génie c’est Joaquin Phoenix. Pour faire une comparaison, le génie de cet acteur, c’est qu’il a créé un immense parc d’attractions. Et là tout d’un coup, il est sur mon épaule et puis il me dit : « Tiens Boris, v’là les clefs, amuse-toi. » Et je suis monté dans tous les manèges.

Est-ce que vous avez une expérience de doublage avec lui qui vous a particulièrement marqué ?

La scène dans Joker, la première fois qu’il monte sur scène pour faire du stand-up, où il éclate de rire dans son coude. J’avais un peu travaillé cette séquence lors des essais, j’ai vu la scène trois fois, et lorsque je l’ai enregistrée, on l’a fait en une prise. Sinon, il a fait un truc encore plus fou que ça. Dans le troisième film de Ari Aster (réalisateur de Midsommar, Hérédité) qui s’appelle Beau is Afraid, je l’ai vu en projection et là j’ai fait : « Comment j’vais faire ? ». Et je me dis « Surtout, j’y pense pas… […] Comment j’vais faire pour ne pas me péter la voix ? » Il est encore plus fou dans ce film que dans Joker. Mais où est-ce que cet homme va chercher ça ? C’est pour ça que c’est un des plus grands acteurs du monde.

Un énorme remerciement à M. Boris Rehlinger ainsi qu’à l’équipe TGS événements qui nous a offert l’opportunité de cette rencontre.

Bagheera.

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