Critique (9)

Not my Dune, Chapitre 2 : Histoire d’une déception. 

Après moult reports de diffusion en salle, Dune : Chapitre Deux, réalisé par Denis Villeneuve, assure des chiffres au succès incontesté à l’international. La suite du premier volet, sorti en 2021, ancre un peu plus le renouveau de cette saga portée à l’écran. Si l’accueil du public comme des critiques professionnels semble particulièrement enthousiaste, la question reste en suspens : avons-nous affaire à une bonne adaptation de l’œuvre majeure de Frank Herbert ? Et, plus important encore : avons-nous au moins à faire à un bon film ? En dépit des apparences, rien n’est moins sûr.  

Arriver à faire une bande-annonce aussi chaotique et peu attrayante pour un sujet pareil, ça en dit long.

Un ennui abyssal et un manque de rythme plombant.

Une stratégie de promotion tentaculaire et des têtes d’affiche plébiscitées sur tous les écrans ne suffisent pas à faire un bon film. Artificiel, c’est bien le mot qui caractérise ce nouvel essai de Villeneuve pour la réalisation du chapitre deux, après un premier volet se voulant monumental, mais décevant en de nombreux points. Trois ans plus tard, rien n’a changé. Les reproches que l’on pouvait déjà adresser au réalisateur persistent et achèvent de tuer l’espoir des quelques spectateurs qui clament haut et fort ce que Hollywood s’acharne à ignorer : toutes les œuvres littéraires ne sont pas compatibles avec le cinéma. Il n’y a qu’à voir les nombreux ratés concernant les adaptations des livres de Stephen King pour comprendre que la machine écrasante d’une production cinématographique ne peut toujours rendre hommage à son matériau d’origine. Artificiel, c’est ce qu’il reste du visionnage du film une fois sorti de la salle. Si le récit global de la saga respecte jusqu’à présent les différentes étapes de l’histoire de Paul Atréides, il n’en représente qu’une substance infime, un ersatz s’affranchissant totalement de la complexité théologique, politique, économique et sociale de Dune. On a du mal à imaginer que la masse de spectateurs n’ayant pas lu les livres puisse comprendre les intrigues politiques ainsi abordées. Un micro-trottoir sur la question à la sortie des salles obscures serait probablement une manière intéressante de constater, en toute bonne foi, l’imbroglio brouillon des enjeux du long-métrage. 

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Florence Pugh tire son épingle du jeu par sa performance mesurée de la princesse Irulan Corrino. © WarnerBros

Même en connaissant la narration initiale, Villeneuve multiplie les ponts hasardeux et les sauts dans le temps d’une linéarité d’une fadeur à pleurer. Parvenir à s’ennuyer devant Dune relève ainsi presque de l’exploit, que le réalisateur accomplit toutefois haut la main. On ne peut qu’assister, impuissant, au tragique nivellement par le bas qui poursuit son œuvre au travers des productions de plus en plus disneyifiées, sabordant toute notion de profondeur, de réflexion mature et aboutie au cinéma. Dune impressionnera sans doute le public adolescent qu’il vise, de toute évidence, et il y a de quoi : sa mise en scène colossale fait mouche, rendant enfin un hommage honorable aux décors grandioses (même si parfois trop minimalistes, tels que les appartements impériaux), et surtout à la bande-son de Hans Zimmer. Portant le tout à bout de bras, on peut saluer les corrections effectuées par le compositeur sur ses partitions précédentes. Moins envahissante, plus réussie, on doit au seul artiste les quelques gouttes d’émotion que le métrage accepte à peine de nous délivrer, ainsi que la meilleure scène du film qui, finalement, redonne ses lettres de noblesse au monde d’Arrakis.

Sans doute la seule scène capable de mettre la larme à l’œil aux adorateurs de Dune. Frissons et spoilers. 

Il ne sauvera toutefois pas le gloubi-boulga du film, la mélasse de batailles trop courtes et mal présentées, révélant le peu d’appétence de Villeneuve pour la mise en scène de ses combats, qu’il s’agisse de duels ou d’affrontements brassant un nombre important de figurants. Habitué aux plans contemplatifs et aux rythmes particulièrement plombés, la rencontre entre sa maîtrise singulière et le récit d’Herbert ne fonctionne pas. L’épique tombe le plus souvent à plat, malgré une propension récurrente à tordre les lois de la physique élémentaire pour en mettre plein la vue. Jusqu’à l’ultime image du Chapitre deux, on espère une évocation plus intense qui nous ôterait l’envie de jeter un coup d’œil à l’heure toutes les cinq minutes. En vain.

Les répliques ne sauvent pas le spectateur de l’ennui. Le deuxième volet de la saga rend hommage à son prédécesseur en la matière. La dernière ligne de dialogue prononcée par Zendaya avait déjà de quoi donner faire rire ou de hurler, selon (« It’s just the beginning »). Qu’on se rassure avant de passer à autre chose, les « War is coming » et autres « For my duke and my friends » ne manqueront pas à l’appel.

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Paul Atréides et Gurney Halleck. Il paraît. © WarnerBros

Une copie de bon élève, mais sans âme.

Sur le papier, il est difficile d’adresser des reproches à Villeneuve. En effet, la qualité de la photographie s’est nettement améliorée, et l’on perçoit enfin, au travers des plans du désert, la chaleur terrassante d’Arrakis. Le film est beau, et l’esthétique léchée amène des propositions intéressantes : lumière confinant à une sorte de noir et blanc surprenant, design des vaisseaux fidèles, mais se distinguant des autres space-opera, détails d’immersion dans la culture Fremen… Ces aspects sont autant d’éléments à cocher en faveur de ce deuxième chapitre attaché à prendre de la vitesse, maintenant que les bases de son univers ont été posées. Pourtant, il se tire aussitôt une balle dans le pied. Aux premières scènes osées rendant un hommage vibrant à l’adaptation de Lynch, succède très rapidement un enchaînement propret de parties peinant à trouver une cohérence les unes entre les autres. La temporalité reste floue, et rend l’intégration de Paul parmi les hommes du désert plus difficile à appréhender. Les épreuves sont vite franchies : quelques minutes suffisent à venir à bout du moindre problème, d’une barrière potentielle, d’un cheminement capital. Les évocations de Paul Atréides, écho évident au Christ et à son expérience primordiale du désert, se transforment en pérégrinations de bas étage, émaillées d’une love story insipide à souhait. On ne vibre pas avec les personnages à l’écran. On ne tremble pas face aux antagonistes censés représenter une menace particulièrement terrifiante. On reste froid, de marbre, et c’est là tout le problème. En parfait syndrome du Hobbit, Villeneuve tombe dans un piège identique à celui de Peter Jackson : à vouloir jouer sur tous les tableaux, Dune se perd. Il cherche à tout faire, entre conter une narration particulièrement complexe, supervisée par des producteurs obsédés par l’idée de brasser le plus large possible en termes de publics. Entre présenter un film d’un sérieux parfois grotesque, mais inhérent aux références messianiques et immémoriales, et des touches d’humour malvenu surfant sur la vague des blockbusters actuels. N’attendez pas une scène de sexe, une tension insupportable, un retournement de situation remarquable : autant chercher un grain de semoule dans le désert.  

La violence est partout, dans l’univers de Dune ; dans la composition même de ce monde aride où la survie se conquiert de haute lutte, dans les oppositions et affrontements des grandes familles. Pourtant, on peine à distinguer quelques gouttes de sang à l’écran. 

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Couple mal assorti et à l’acting peu convaincant, Timothée Chalamet et Zendaya flottent dans leurs costumes de Paul Atréides et de la Fremen Chani. © WarnerBros

Le hors-champ est aussi allègrement utilisé que la première création d’un étudiant en cinéma fauché. Vous n’aurez droit ni aux plaies ouvertes lors des multiples batailles ou duels au corps à corps, ni aux scènes de torture, ni aux massacres de masse. À l’image de la dernière trilogie Star Wars, la présence de sang reste millimétrée, rationnée, aménageant ainsi l’accès à toutes les salles sans restriction concernant l’âge des spectateurs. L’essence de l’œuvre se voit une fois de plus sacrifiée au profit… du profit. Pas un sein, pas un bout de peau trop dénudé ne risquerait d’éborgner qui que ce soit. Édulcoré à l’extrême, Dune donne la singulière impression de nager dans les bons sentiments comme dans un bain de « Tous publics » poisseux et désagréable. Même les effets spéciaux varient en qualité : les vers de sable sont irréprochables (encore heureux…), mais de nombreuses textures utilisées pour les dunes ou certains animaux emblématiques sont d’une laideur à pleurer, quand on pense aux 190 millions de dollars engloutis dans la production. Les efforts sont là, mais insuffisants. On ne ressent pas Arrakis. On ne ressent pas la chaleur, la détresse, la douleur des personnages à l’écran. On ne ressent qu’une volonté de faire bien, de faire propre, de faire lisse et sans déviance aucune. Une aberration.

Amour, Fadeur et Cliché. 

Un casting très mal exploité et à la performance inégale.

Timothée Chalamet n’est pas Paul Atréides. L’acteur mondialement plébiscité pour des raisons plus ou moins obscures n’a pas les épaules du duc, et le charisme de sa jeunesse ne rattrape pas son manque d’épaisseur regrettable. Personnage presque inatteignable, à la fois messianique et romantique au sens littéraire du terme, l’interprète n’est pas aidé par le passage du protagoniste à la moulinette simpliste, le transformant en un pantin presque passif, inexpressif, voire antipathique. Quasiment aucun doute ne paraît émailler ses décisions. La guerre devient un sujet de conversation lambda, et lorsqu’on connaît le destin des figures de Dune, la pilule est encore plus amère à avaler. Chalamet ne campe pas bien sa posture d’antihéros passionnant, et promène dans le désert sa nonchalance qui n’aurait pas démérité dans une publicité pour les parfums Terre d’Hermès. Villeneuve multiplie les plans-poses, ou stares (plans fixes ou ralentis, censés marquer l’intensité d’un personnage) aussi habiles et nuancés que dans la saga Twilight. L’effet est poussé à son paroxysme (et à son ridicule) au travers de Rebecca Ferguson, incarnant une Lady Jessica plus probante, mais toujours bien en deçà de ce que l’on était en droit d’attendre pour la veuve du duc Leto. Chani, interprété par Zendaya, pose tout autant problème. Les changements insufflés à la compagne de Paul et la position bien plus forte ardemment désirée par Villeneuve pourraient encore passer. Mais la jeune femme transpire d’un énième pamphlet féministe forcé, et pire, qui échoue totalement dans sa démarche. Tantôt haineuse, tantôt soumise à ses sentiments, la performance de Zendaya ne convainc pas, et se résume à un froncement de sourcils presque permanent en deux heures quarante. Josh Brolin poursuit sa piètre interprétation de Gurney Halleck, lui aussi massacré et de nouveau réduit au bourrin guerrier au détriment de sa poésie et de sa sensibilité artistique. Dave Bautista se contente de hurler chaque fois que le film daigne lui accorder quelques instants à l’écran, salissant un peu plus la vision des Harkonnen, se bornant aux gros méchants bouffons qui crient lorsqu’ils ne sont pas jouasses. Léa Seydoux gâche le long-métrage par sa seule présence. Sa performance se limite à un accent certes impeccable, mais n’apportant que peu d’éléments au schmilblick général. Charlotte Rampling demeure d’une transparence inquiétante, tandis que Stellan Skarsgård nous fait replonger en pleine Guerre Froide. Quand les James Bond de l’époque utilisaient les conflits internationaux célébrant systématiquement la méchanceté des Russes, Villeneuve remet cette tradition au goût du jour. Le baron Harkonnen se transforme en Poutine de pacotille, réduit à sa seule volonté de nuire aux Atréides, et dont la famille ne disposera jamais de la profondeur accordée aux Fremen. Qui sont les Harkonnen ? Pourquoi leur avoir donné un aspect piochant dans les traits des aliens de Prometheus et des mutants d’I am a legend ? Pourquoi ne pas dépasser l’imagerie bizarroïde et sadomasochiste de bac à sable pour leur consacrer un peu plus d’épaisseur ? Nous ne le saurons jamais. Il ne reste qu’un spectacle risible, voire tout à fait gênant, dont seul Austin Butler parvient à s’échapper, par son interprétation satisfaisante de Feyd-Rautha. En dépit d’une écriture maladroite, la brutalité de l’acteur et un investissement jouissif sauvent les meubles, rendant ses irruptions toujours pertinentes et attendues. Côté impériaux, Christopher Walken ne trouve pas sa place en Shaddam IV, et n’est pas sans rappeler les performances inégales d’un Jérémy Irons. Florence Pugh, en revanche, séduit dans la peau d’Irulan Corrino, malgré des costumes à la qualité très aléatoire en fonction de ses scènes. On n’évoquera pas non plus l’erreur de distribution monumentale, mais soigneusement choisie pour ce qui concerne l’apparition d’Anya Taylor-Joy. Le traitement du personnage de Stilgar demeure peut-être l’une des plus grandes déceptions du casting. Javier Bardem, totalement habité par le leader Fremen, touche par sa voix rauque et sa tessiture, par l’emphase de sa parole de fanatique imprégné de foi et d’espoir de liberté. Bardem surprend, tend une main sincère et magnétique au spectateur désabusé, l’invitant à pénétrer d’un pas plus franc dans l’univers de Dune que ne le fait Villeneuve lui-même. Ce dernier, bien au contraire, sape les efforts de son acteur, dont le personnage est presque moqué par les autres, et dont les répliques vont parfois jusqu’à décrédibiliser ses motivations. Au point d’en frôler la parodie.

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Sans déconner, quand vous voyez ça : vous pensez à un film sur Dune ou à un défilé Yves Saint-Laurent ? © WarnerBros

Dune est un film moyen et une mauvaise adaptation. Dune n’est pas Star Wars, bien que promis au même traitement et à l’exploitation jusqu’à la corde de tous les produits possibles et imaginables, notamment en série et en jeu vidéo. Dune est à des milliers d’années-lumière de Star Wars. Dune n’a jamais prétendu pouvoir se livrer en tant qu’œuvre populaire, en tous points accessible à tous les publics. Dune n’est pas un gigantesque parc d’attractions pour amateurs décérébrés ou marvélisés à outrance. Dune était et reste une pépite, un trésor autant précieux que l’épice au centre de tous les paris, traîtrises et convoitises de cette histoire dantesque. Ses adorateurs devront malheureusement se contenter de voir la saga débitée, vidée de sa substance, exposée sur l’autel sacrificiel : celui de la consommation de masse, d’acteurs aussi douteux qu’en vogue, de répliques écœurantes de niaiserie et d’une médiocrité générale décevante. Que ceux qui s’estiment abjurés gardent courage : qui sait si un prophète n’émergera pas un jour à Hollywood, pour peut-être enfin rectifier le tir d’un système fatigué et corrompu par l’obsession des coûts, des profits et de l’uniformisation désespérante qui crucifie le monde du divertissement.

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