Critique(13)

Échange avec Nathalie Bienaimé & Aurélia Bruno 

Comédiennes de doublage renommées et amies dans la vie, Nathalie Bienaimé (Mikasa dans L’Attaque des Titans, Bart et Jimbo dans Les Simpsons) et Aurélia Bruno (Lisa et Milhouse dans Les Simpsons, Rachel dans Les Frères Scott), ont gentiment accepté de nous accorder un peu de leur temps et de leur bonne humeur entre deux séances de dédicaces et conférences lors de l’édition du TGS 2023.

Nathalie Bienaimé

L’Écran : En tant que comédiennes de doublage, vous avez toutes les deux des carrières assez longues et fournies. Je suis curieuse de récolter votre opinion concernant la présence des femmes dans la profession. On connaît le combat de certaines actrices qui soulignent une différence de traitement avec les acteurs, et ces dernières années on a pu avoir l’impression que davantage de comédiens de doublage se retrouvaient invités dans des conventions, plutôt que des comédiennes. Selon vous, est-ce que cette disparité se retrouve donc également dans votre domaine artistique ou pas du tout ?

Nathalie : Oh non, pas du tout !

Aurélia : Je n’ai pas du tout cette impression non plus. Je pense qu’il s’agit plus d’un hasard, pour ce qui est des comédiens masculins invités plus souvent ces derniers temps.

Nathalie : On a beaucoup d’amies comédiennes qui font énormément de conventions et depuis longtemps ! Pour nous, il se trouve que c’est assez récent parce qu’on nous ne le proposait pas forcément avant.

Aurélia : Pour le coup, c’est vrai que je trouve qu’on n’est justement pas tellement un milieu où on a l’impression que les hommes travaillent davantage ou sont favorisés.

L’Écran : Et on ne retrouve pas de disparités non plus du côté des salaires, dans le doublage ?

N : Non, puisque nous avons une convention collective qui est la même pour tout le monde, et nous sommes tous payés pareil.

A : Après forcément dans le cinéma américain notamment, la femme de plus de 50 ans est un peu moins visible, et donc les comédiennes qui doublent des femmes de plus de 50 ans sont elles aussi un peu moins « visibles » de fait.

N : Oui c’est surtout lié à l’image, car en doublage, on n’est pas tellement affectées.  

A : Nous, même si on a un certain âge, on fait des voix de personnages parfois très jeunes !

N : En animation, on peut parfois se permettre de travailler longtemps, même avec des voix d’enfants. Donc non, on ne ressent pas du tout de discrimination à ce sujet. Ce qui se passe, c’est que la roue tourne, il y a des jeunes qui arrivent, donc des nouvelles voix qui arrivent, et c’est normal. On travaille moins qu’à une époque surtout à cause du renouvellement des voix, c’est plutôt ça, et ça n’a rien à voir avec le fait d’être de sexe féminin.

Aurélia Bruno

L’Écran : Avez-vous développé des liens forts avec d’autres comédien(nes) de doublage ? La plupart du temps vous enregistrez seul(e)s, mais on sait que certains membres d’un même casting tissent des relations assez étroites à force de travailler plusieurs années sur un même projet.

A : Forcément, comme dans tout travail, il y a des affinités. Par exemple, avec Nathalie on s’entend super bien. Tout d’un coup un lien amical peut se créer, c’est hyper chouette. Je sais qu’avec certaines personnes je peux avoir des fous rires, et conserver des affinités comme des inimitiés, c’est vrai.

N : C’est vrai qu’il y a des séries où on travaille et où on passe beaucoup de temps ensemble, ce qui fait que les liens se resserrent et que c’est justement là qu’on crée ces affinités qui peuvent se transformer en vraies amitiés.

L’Écran : Que pensez-vous de Pascale Chemin, qui a livré une conférence particulièrement engagée sur les ravages de l’IA dans le monde du doublage, aujourd’hui ?

A : On est complètement solidaires.

N : L’IA est un véritable danger. On peut faire disparaître notre profession à cause d’elle. En plus, ce qui est terrible, ce sont ces gens qui utilisent nos voix, qui nous volent nos voix pour créer des messages publicitaires ou autres, ou même pour nous faire dire n’importe quoi ; même des messages politiques, ça peut être très, très grave. Donc c’est vraiment quelque chose à dénoncer, à combattre, pour sauver notre métier, autrement on est cuits. Pour l’instant, ça reste quelque chose de très numérique, sans émotion, sans vie, mais comment les choses peuvent évoluer ? On ne sait pas. En tout cas c’est très dangereux et…

A : … inquiétant pour nous et inquiétant pour le métier.

Nathalie Bienaimé et Pascale Chemin en conférence. ©rostercon

L’Écran : On voit qu’il y a eu en effet une progression des ravages de l’IA au travers des différents domaines culturels. On a vu que l’édition était touchée, puis certains acteurs ont commencé à vendre leur image pour être rajeunis et utilisés dans des productions comme Mark Hamill pour Star Wars, et maintenant elle s’attaque à la « voix ». Pensez-vous à créer une sorte de collectif entre comédiens de doublage ? Un projet qui vous rassemble tous pour porter votre message de façon plus puissante ?

N : Déjà, on a fait appel à nos syndicats pour plancher sur l’affaire, pour légiférer les choses. Et c’est vrai que plus on sera nombreux pour combattre cette intelligence artificielle, plus on aura de chances d’arriver à un résultat pour nous protéger.

A : C’est en effet le rôle des syndicats de nous assister dans ce combat-là.

L’Écran : Concernant votre métier de comédiennes de doublage à proprement parler, vous avez beaucoup doublé de personnages juvéniles, qu’ils soient enfants ou adolescents. En tant qu’adulte, trouvez-vous difficile de se mettre dans la peau de ce type de protagonistes pour incarner les bonnes émotions ? Qu’est-ce qui se passe dans votre tête lorsque vous êtes en plein travail pour ce genre de rôle ?

A : Je dirais que je l’aborde même plus sereinement que pour doubler un personnage adulte, dans la mesure où comme j’ai commencé à doubler en étant enfant, c’est comme si, lorsque je faisais ce métier, j’avais encore cette part d’enfance en moi. Je n’arrive pas à m’en débarrasser, ce qui peut aussi être un problème. *Rires*. Ça se retrouve même vocalement, c’est psychologique. Du coup, c’est clairement presque plus simple. Ça revient tellement naturellement, parce que ça fait partie de moi.

N : De mon côté, je dirais qu’il y a aussi toujours une part d’enfance en moi qui n’a jamais disparu. Donc je n’ai pas besoin de travailler beaucoup là-dessus, même si je peux aussi bien jouer des grands-mères et c’est là le travail du comédien : c’est l’imaginaire, l’appel à toutes nos références, à tout ce qu’on voit, ce qu’on prend tous les jours qui fait qu’on crée des choses. C’est l’imagination qui permet l’interprétation de personnages différents et d’aborder des univers tout aussi différents : que ce soit la vieillesse, l’enfance, la folie, on peut aborder absolument tous les genres et tous les âges. C’est sûr que je ne vais pas interpréter un bonhomme avec une voix masculine prononcée. Mais dans la tessiture de voix qui est la mienne, je peux aller dans différentes catégories de personnages, et ma sensibilité et mon imaginaire vont me permettre d’interpréter ces choses. Et puis aussi grâce à l’amusement ! Parce que le grand secret de tout ça, c’est l’amusement.

Nathalie Bienaimé et Aurélia Bruno étaient présentes à la conférence des comédiens de doublage français, lors du TGS 2023

L’Écran : Est-ce que vous avez tendance à regarder les divertissements que vous doublez ? Ou bien est-ce que cela vous dérange de vous entendre ?

N : Il m’arrive de regarder certaines séries avec ma fille. Quelquefois j’arrive, et elle est en train de regarder Bienvenue chez les Loud ou Les Simpsons, et ça me fait marrer de regarder avec elle, de replonger dans l’univers du travail. Je repense alors à comment on a fait les choses, et c’est assez agréable de voir le résultat et ce que ça a donné. Je peux aussi regarder certains films, mais je préfère le moment du doublage en lui-même.

A : C’est pareil pour moi. Je ne regarde pas ce que j’ai pu enregistrer, si ce n’est que j’ai passé un moment à voir mon fils regarder Les Simpsons tous les jours entre ses dix ans et ses dix-sept ans. Donc je rentrais, et je m’entendais, mais ce n’était pas forcément de ma propre volonté ! *rires*

Un énorme merci à mesdames Nathalie BIENAIMÉ et Aurélia BRUNO, ainsi qu’à l’équipe TGS événements qui nous a offert l’opportunité de cette rencontre.

                                                                                                              

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