Petit pays | 2020 – 1h51 | sortie en France : 26 août 2020
Réalisateur: Eric Barbier
Scénario: Eric Barbier et Gaël Faye
Gaby est un garçon épanoui, qui grandit dans un petit quartier bourgeois de Bujumbura, la capitale du Burundi. Avec sa bande d’amis, il va vivre de nombreuses aventures dans l’impasse qui fait leur terrain de jeu, jusqu’au jour où les problèmes des grands envahissent leur univers.
J’ai découvert cette histoire récemment en étudiant un peu la littérature francophone moderne. J’ai donc tout lu à propos de Gaël Faye et sa carrière musicale précédant la sortie du livre. En écoutant ses chansons et ses interviews j’ai trouvé en lui un artiste à suivre de près. Et mes yeux sont passés sur les pages de son bouquin aussi vite et aussi passionnément qu’ils l’ont fait avec Le Petit Prince ou Bonjour tristesse.
Comme dans l’œuvre de Saint-Exupéry, parfois les histoires des petits sont assez universelles est assez transcendantes pour donner aux grands l’opportunité d’y trouver les réponses dont ils ont besoin. Petit pays a eu cet effet sur moi, et il est désormais une référence de cette littérature francophone que je suis en train de découvrir. Tout comme Le meilleur reste à venir l’est pour le cinéma. Ma réponse était donc évidente quand le cinéma Gaumont Toulouse m’a invité à l’avant-première en février. Avant que le coronavirus nous frappe de toutes ses forces, repoussant la date de sortie nationale au 26 août.
La mise en scène du réalisateur a bien réussi à me placer dans un monde où la famille, les amis et la végétation forment une barrière qui cachent et protègent le héros de l’enfer qui se déroule tout autour. Tourné au Rwanda et avec des acteurs et des actrices locales (sauf pour l’excellent Jean-Paul Rouve), le film capte une atmosphère authentique difficile à reproduire dans un studio. De plus, cette histoire apporte un regard propre à ses protagonistes. Comme dans Atlantique (2019), où Mati Diop m’a montré enfin un regard différent des clichés habituels concernant l’Afrique et ses pays.
Le film est, à mon avis, la meilleure adaptation qu’on aurait pu faire. Comme dans le livre, les messages de l’auteur passent avec une subtilité étonnante et une précision bouleversante, grâce aux conversations et aux actions dans l’arrière-plan. Et comme dans le livre, le point de vue de l’enfant est primordial. Toute adaptation doit quand même sacrifier quelques scènes et prendre quelques libertés. Heureusement, le réalisateur l’a fait avec l’accompagnement de Gaël Faye. Le résultat : une œuvre à part entière, sans trou ni gaffe. Une pièce audiovisuelle captivante tant pour ceux qui n’ont pas lu le roman que pour ceux qui l’ont lu.
Les meilleures histoires sont celles avec plusieurs niveaux de lecture, ce n’est pas moi qui le dis, je l’ai plus ou moins volé à Michel Hazanavicius. En effet, c’est la meilleure façon d’écrire un conte qui se déroule dans un contexte politique aussi complexe comme le génocide du Burundi de 1993 et celui du Rwanda de 1994. Sauf qu’en cette occasion le conte est amené vers la magie du cinéma par Eric Barbier, avec des images pleines de verdure, de visages très expressifs et une musique frissonnante composée par son frère Renaud Barbier.
Oui, une des lectures porte sur le témoignage dur et réaliste des conflits entre les ethnies Hutu et Tutsi, qui ont mené à des guerres civiles et au génocide le plus sanglant des dernières décennies. Mais c’est avant tout une histoire d’enfance. La deuxième lecture concerne alors le narrateur de ce récit : un Gaby déjà adulte, dans une réflexion du passé qui le hante depuis des années. Car les beaux moments d’aventure, de joie et d’insouciance que l’on voit à l’écran représentent cette image nostalgique d’enfance heureuse et lointaine que nous avions tous. Avant de perdre l’innocence une fois la porte de la maturité franchie.
À la manière de Di Caprio et sa bande dans Inception (Christopher Nolan, 2010), on plonge dans une dernière couche narrative dans laquelle il est facile de s’identifier. J’ai pu sentir parfois que j’étais ce jeune garçon (interprété à merveille par Djibril Vancoppenolle) à la recherche de solutions aux problèmes des petits, et des grands. Ce jeune enfant qui tangue dans une mer d’identités, qui est obligé de sacrifier sa joie et qui est appelé à choisir un camp dans un débat dont il ne veut rien savoir. En une heure quarante minutes de visionnage vous pourrez donc profiter des trois niveaux de lecture, peut-être moins, peut-être plus. Mais faites-le. Car si nous ne connaissons pas notre histoire, nous sommes condamnés à la répéter.
[…] Article publié à l’origine sur le site de l’Association L’Ecran. […]