Critique (4)

The Son, la mauvaise pioche de Florian Zeller

Florian Zeller, célèbre et prolifique dramaturge du vingt et unième siècle, est reconnu à l’échelle mondiale pour son talent de metteur en scène. Ses pièces font partie des plus jouées au monde, faisant de lui l’auteur français en vie le plus interprété. La presse spécialisée (et autres d’ailleurs) fut toujours très élogieuse face à ses œuvres, dont le fameux triptyque, Le Père, La Mère, et Le Fils, entre autres romans et ouvrages de théâtre. Zeller est un auteur apprécié également pour sa polyvalence appelant systématiquement un succès critique relatif. C’est après maintes récompenses, pléthores de travaux et une logorrhée constante de compliments qu’il est annoncé à la tête de l’adaptation filmique de sa pièce, Le Père, qui prendra le nom de The Father.

Anthony Hopkins, interprète du protagoniste de The Father.

Celui-ci fit un carton plein critique à sa sortie aux États-Unis et en France, recevant deux Oscars, et en 2022 le César du meilleur film étranger. Il fit partie de ces films accompagnant presque la réouverture des salles, avant l’impression d’abondance et de propositions cinématographiques qu’apporta la sélection cannoise de 2021.

Le premier long-métrage de Florian Zeller était brillant par ce qui pêche dans son second film. Le metteur en scène y permettait une focalisation unique auprès du point d’écoute et du point de vue d’un vieil homme (interprété par Anthony Hopkins) ressemblant à un riche patriarche américain en proie à sa sénilité. Zeller y documentait les errements par une métonymie de l’état végétatif d’un malade. Celle-ci s’incarnait donc par un incontournable du théâtre, le décor. Celui-ci y était un logis de quelqu’un de fortuné et âgé, sans trop d’espace, mais tout de même exhibitionniste de son aisance. The Father s’appliquait dans la suite de sa diégèse à égarer un homme entre autres par la désorientation physique de ses possessions immobilières. Entre la rencontre soudaine de personnages que ce père ne semblait pas connaître et justement, inverser, démultiplier et finalement rationaliser les lieux dans lequel le protagoniste évolue, le long-métrage atteignait son objectif premier de transfigurer par la caméra une mise en scène de la disparition des repères d’un vieil homme. Ce qui est donc déjà louable pour un film devient un exploit lorsque l’on découvre The Son, seconde adaptation du triptyque, sorti début mars sur nos écrans.

Dernière pièce de théâtre de Zeller avant son passage à la réalisation, The Son expose, dans un didactisme en aval avec son titre, un néo-rêve américain à peu près parfait : Peter est un avocat quasi cinquantenaire ayant gravi les échelons de son milieu, qui fut délaissé moralement par son géniteur, Anthony, dans son adolescence, ce dont il ne manquera pas de rappeler dans son propre discours paternel. De sa seconde union avec Beth naîtra un nouvel enfant. Mais, son ex-épouse, Kate, ne sait plus quoi faire de leur fils, Nicholas, rejeton en début de rupture scolaire et aux portes de velléités connues des jeunes, en tout cas ces jeunes représentés par ce cinéma mélodramatique. En fait, le film s’encombre de l’espèce de soutire-larme badaud dont il se revendique. Bref, Peter va tenter de récupérer son ainé, ce qui provoquera chez Beth le sentiment que le père de son fils abandonne son nouveau-né, le laisse passer au second plan. Puis, Anthony émergera au gré des réflexions que font ses collègues de travail quant à la santé du géniteur de notre protagoniste.

L’ombre de The Father planerait-elle sur The Son, le fils de ce long-métrage (re)devenant père tout en essayant de recréer un lien avec le Pater Familias du premier film de Zeller ? C’en est presque compliqué, et nous extrapolons. Mais c’est cette polyvalence qu’offrent les personnages et ce semblant de récit enchâssé qui doit sûrement prodiguer aux pièces de Zeller autant de discours laudatifs. Et en effet, nous ne pouvons négliger le fait que cette complexité prétendue de l’œuvre originelle permettrait à son adaptation cinématographique le même type de subtilité, amorcés par ces quelques personnages et leurs interactions. Peter, père dépassé, tout en étant père en (re)devenir, tente d’éduquer un ado qui lui échappe, pendant que son propre père lui parle comme s’il était un collègue, tandis que les deux personnages féminins de la pièce (oups, du film) sont à la fois éloignés et aux premières loges de ces brouillages masculins familiaux.

Florian Zeller, lors de la remise de son César du meilleur film étranger. © Vosgesmatin.fr

Reprenons notre souffle. Ce foyer recomposé et la prétendue minutie du projet camouflent une écriture qui, transfigurée par la caméra, devient  une patte scénaristique manipulatrice, désireuse d’une émotivité par rapport à la diégèse du film. Oui, nous sommes face à une très belle démonstration de théâtre filmé, ressortant les classiques de l’extorsion du cinéma par ce genre. Notamment, nous parlions des décors plus tôt et comment ceux-ci participaient à l’intensité de The Father. Il est immanquable devant The Son que le prétexte de désorientation du vieil homme dans le premier film de Florian Zeller n’était en fin de compte qu’un coup de chance, la bonne pioche pour ce monsieur qui restera metteur en scène. Les décors de lofts et autres appartements deviennent après une solide demi-heure interchangeable, les personnages évoluant dans un ensemble insupportablement plat.

Chaque sujet — même si dans ce cas, il a déjà était miné par Araki, Clarke, ou Dolan pour ne citer les plus récents qui explorent, parfois avec brio, les violentes réalités des grands adolescents — peut être visité ou revisité pour peu que la forme, plus qu’essentielle, sache servir, voire devancer le récit. The Son réussit donc l’exploit d’être la première captation d’une pièce de théâtre présenté à la Mostra en compétition officielle ! L’interprétation des acteurs serait bien entendu abordable, car dénué de justesse, ce qui est normal lorsque l’on filme un jeu bâti pour le théâtre, entre le surjeu et quelque chose d’inexpressif contribuant à l’inertie du film. Les dialogues étaient-ils bons sur les planches, édifiant par leur puissance émotive, et dépassant les lignes du scénario ? Sans nul doute. Ici, ils participent seulement à la lenteur non assumée d’un film de deux heures, qui ne se transforme qu’en un soutire-larme défectueux

Espérons que Florian Zeller appelle, après le fils et le père, le Saint-Esprit, pour compléter son triptyque familial trompeur. Non, l’adaptation de sa pièce sur La Mère ne saurait se faire attendre. L’acte devient en définitive irrécusable, car la caméra n’y est pas utilisée en tant que médiateur, ni même en un regard, mais comme un carreau de fenêtre vétuste et sali par son ancestralité, une transparence ratée sur une réalité, d’où vulgairement, un metteur en scène y a collé son œil.

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