Critique (2)

La longue nuit de l’exorcisme : titre putaclic avant l’heure ?

J’ai débuté cette 24e édition sur les chapeaux de roues avec le film Non si sevizia un paperino (Lucio Fulci, 1972). Je vous en donne une traduction plus ou moins proche, n’étant pas native italienne : “on ne torture pas un petit canard”. Je me vois dans l’obligation de parler de ce titre-là, car sa version française est quelque peu tirée par les cheveux. La mouture originale mentionne un élément qui joue un rôle clé dans le scénario, dans la mesure où une poupée Donald Duck va amener au dénouement de l’intrigue. Alors que La longue nuit de l’exorcisme m’a laissé penser que l’histoire se déroulait sur l’espace-temps d’une nuit et que de toute évidence, il y aurait un exorcisme. J’étais un peu perplexe en sortie de séance puisque ça n’est absolument pas le cas. Seules certaines scènes sont tournées de nuit et il y a plusieurs jours et nuits qui s’enchaînent. Le plus clair de l’intrigue se passe en extérieur et de jour, dans un paysage ensoleillé, parfois aride, parfois verdoyant, mais quasi toujours très lumineux. Et bien qu’il soit question de démons, de sorcières, de vaudou et il y a même un prêtre qui joue un rôle très important, mais il n’est jamais question d’exorcisme.

L’hypothèse à laquelle je me raccroche est que ce nom a été choisi en France pour voguer sur la vague de succès du film L’Exorciste. En effet, L’Exorciste est sorti en France le 11 septembre 1974 alors que La longue nuit de l’exorcisme est sortie en France le 22 mars 1978. 

Il y a donc fort à parier que pour assurer un maximum d’entrées sur ce film, un titre racoleur a été utilisé par les distributeurs pour attirer les amateur.ice.s de frissons. Iels ont dû être très déçu.e.s de se retrouver devant un simple thriller.

Giallo ou pas giallo ?

Le genre de prédilection de Lucio Fulci ce sont les gialli. Ancêtres des slashers movies américains, c’était une catégorie du cinéma italien inspirée par les romans policiers de l’époque. Les principaux points communs entre les gialli et cette œuvre, c’est l’enchaînement des meurtres et la révélation de l’assassin qui se fait dans les dernières minutes du film.

L’histoire prend place au sein d’un décor rural où des enfants d’une douzaine d’années sont tués les uns après les autres. Le film suit l’enquête d’un journaliste et de policiers qui essaient de mettre la lumière sur cette affaire. L’œuvre dévie de la définition classique du genre. Il n’y a aucun témoin des meurtres qui se sont déroulés qui aurait des visions, l’aspect psychologique est plus discret que dans un vrai giallo. Ce genre étant connu pour être destiné à un public d’hommes, souvent les victimes y sont des femmes au grand potentiel sensuel qui sont la cible du tueur. C’est l’un des principes fondamentaux du genre cinématographique et on ne le retrouve pas dans cette œuvre. Cela dit, elle met en avant un univers où de jeunes garçons, entraînés par les adultes, évoluent dans un univers hypersexualisé. Donc, on retrouve des scènes érotiques.

On flirte avec le tabou.

Assez perturbant, le film flirte avec le détournement de mineur. En effet, l’une des principales scènes érotiques implique un enfant, scène qui serait certainement plus difficile à tourner aujourd’hui, tellement elle peut être déplacée. On y voit Michele – l’un des gamins qui se feront assassiner – apporter un jus d’orange à Patrizia, la maîtresse de maison. Elle est totalement nue, et lorsque l’enfant évite de la regarder, elle ordonne à Michele de se rapprocher. Elle prend la boisson et la fait couler le long de son corps. S’ensuit un moment où elle questionne le jeune garçon sur son expérience avec les filles et les femmes, puis elle lui demande s’il aimerait avoir des relations sexuelles avec elle. Appelé par sa mère, l’aventure sensuelle du gosse s’arrête là. Évidemment, ce comportement déviant sert de propos à la mise en scène, puisque le public est amené à soupçonner cette femme d’être une succube qui attirerait les préadolescents en les charmant pour ensuite mieux les assassiner. Néanmoins, le malaise provoqué par cette scène n’en reste pas moins intense.

Le jeune Michele apportant son jus d’orange à Patrizia la maîtresse de maison
Le jeune Michele apportant son jus d’orange à Patrizia la maîtresse de maison © Non si sevizia un paperino

Obscurantisme et puritanisme.

Même si cela relève ici de la pure interprétation, j’imagine d’abord qu’il y a une critique de l’obscurantisme. Le fait d’apporter trop d’importance à des croyances amène les villageois.e.s à punir la mauvaise personne. En effet, les habitant.e.s du bourg où se déroule l’intrigue supposant que l’une des protagonistes était une sorcière. Ils décident de la frapper à mort. C’est dans une scène très violente et gore que la femme se retrouve couverte de blessures à ramper dans la poussière pour essayer d’atteindre une route au bord de laquelle elle n’obtient aucune aide. Elle laisse s’échapper son dernier souffle sous l’œil indifférent des vacanciers pressés d’arriver à leur lieu de villégiature. Aucun remord de la part des habitant.e.s soulagé.e.s d’avoir fait le nécessaire. La peur les quitte, mais très vite elle reviendra les hanter puisque leur hâte à trouver un.e coupable les a mené.e.s vers une impasse : celle de la superstition.

On remarque aussi que les premières personnes accusées vivent au ban de la société. On retrouve : un handicapé mental, considéré comme l’idiot du village, une femme traumatisée par une relation incestueuse et la perte d’un enfant qui s’adonne à la magie noire et enfin une bourgeoise accro à la marijuana et sexuellement libérée. Chacun de ces personnages a de toute évidence une part sombre qui permet de facilement les mettre dans la case du tueur ou de la tueuse.

La seconde critique potentielle est plus floue. On peut soit y voir une dénonciation de l’hypersexualisation des prépubères livrés à eux-mêmes, ou plutôt l’inverse, une condamnation du puritanisme religieux. Avec (attention spoil) un prêtre prêt à tout, même à tuer, pour sauvegarder l’innocence des jeunes enfants et les préserver de toute pensée charnelle. Je penche plutôt pour la seconde option compte tenu de l’époque à laquelle le film a été tourné. 

La supposée sorcière agonisant dans l’indifférence générale
La supposée sorcière agonisant dans l’indifférence générale © Non si sevizia un paperino

Entre tabou, extrémisme clérical et ésotérisme, ce thriller au doux parfum d’Italie pourra ravir les amateur.ice.s de polar quelque peu borderline.

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