Undergods, un univers colossal pour un colossal premier film

Premier film de Chino Moya, Undergods est difficile à résumer. Il s’agit de plusieurs nouvelles, pas tout à fait indépendantes, reliées entre elles dans un aspect semi choral : un homme qui accueille un individu étrange dans son appartement, un père qui raconte une histoire à sa fille, deux employés qui ramassent des cadavres au bord de la route, un évadé de prison qui retourne chez lui mutique et traumatisé…  Le point commun : la ville, écrasante, sinistrée, qui broie ses personnages. Un premier film original, hors des sentiers battus, avec une personnalité étonnante et forte. Une vraie proposition de cinéma impressionnante, découverte en présence du réalisateur Chino Moya lors du festival Grindhouse Paradise à Toulouse. 

Bande annonce du film Undergods

Une beauté plastique saisissante

La première chose frappante avec Undergods est sa beauté plastique. Le film est très esthétisé, n’hésitant pas à forcer le trait sur les filtres colorés (le bleu particulièrement envahissant), sur les contrastes colorés, le jeu avec les symétries de l’image, des décors omniprésents, écrasants…  De l’aveu du réalisateur, Enki Bilal a beaucoup inspiré le film d’un point de vue visuel. Cette inspiration se ressent dans les tons colorés, avec cette obsession pour le bleu et la structure des images, mais aussi dans la bizarrerie et l’étrangeté qui teinte tout le film. On se situe constamment dans cette inquiétante étrangeté théorisée par Freud, ce petit décalage avec la réalité qui nous permet de faire la différence entre le rêve et la réalité. 

Les tonalités colorées sont très marquées, les décors ciselés, le cadre symétrique et précis. Crédit : MUBI

Du rêve, ou du cauchemar, il en sera énormément question dans le film. La sur-esthétisation des images les rend souvent irréalistes, voire surréalistes. La réalité est distordue et sombre dans l’étrange, où les personnages n’ont pas les réactions attendues, les lieux ne sont pas ce qu’ils devraient être. Il y a toujours une chose qui choque, qui jure, qui “décale” ce film juste assez pour susciter du malaise.

Ce choix d’images très plastiques, léchées et soignées vient sans doute des travaux passés du réalisateur. Chino Moya vient à la base du clip, Undergods étant son premier long métrage. “Je suis autodidacte dans le domaine de la vidéo et du cinéma, même sur mes projets de commande”, nous confia-t-il lors de la rencontre publique à la sortie du film. “Pour moi, ces clips étaient un prétexte pour créer des univers, des mondes. Je pense que c’étaient comme des prototypes d’univers qui m’obsédait. Undergods a été pour moi un moyen d’étendre ces univers que j’avais créé. J’ai mixé dans ce film plein de choses qui préexistaient au final déjà dans mes créations précédentes”.

L’un des clips de Chino Moya, Years and Years “Eyes Shut”, qui porte déjà les marques des univers développés dans Undergods.

La réinvention des dystopies

La ville est le point de concordance de l’univers. Une ville glaciale, cerclée d’immenses bâtiments en béton. Undergods a été principalement tourné à Belgrade ainsi qu’à Tallin en Estonie, et le brutalisme post soviétique a été une source d’inspiration importante pour développer cet imaginaire de’ ville étouffante, image d’une prison à ciel ouvert. Cette esthétique particulière, évocatrice de l’ancienne URSS, est un cadre parfait pour développer des histoires dans des cadres dystopiques. Le film évoque bien sûr de grands classiques comme Gattaca, 1984 ou des dystopies plus survivalistes comme La Route, mais ne tombe pour autant jamais dans la citation ou le pastiche facile. Ce patchwork d’inspirations diverses et variées permet à Chino Moya de créer son propre univers tout en connectant Undergods à un réseau d’œuvres classiques qui ont déjà battu le terrain pour lui. 

Une ville écrasante pour cadre. Source : Cinérgie.be

Le film parle des fascismes dans ses différentes formes, des plus évidents (un univers dystopique avec une armée fasciste au pouvoir) jusqu’aux plus métaphoriques (le fascisme au travail et dans la sphère familiale ). Chino Moya se dit fasciné par ceux-ci et tous leurs aspects. Undergods peut être perçu comme une carte qui recense l’essence des fascismes, des plus insidieux et quotidiens jusqu’aux dystopiques plus clichés mais plus extrêmes.

Une narration atypique

Comme je le disais en introduction, le film est difficile à décrire. Entre le film à sketch, la nouvelle et le film choral, il n’est pour autant jamais incohérent, bien que certaines parties n’aient pas réellement de chute. On a l’impression d’être nous même un personnage errant dans cet univers, et que nous créons par cette présence la cohésion entre chaque portion d’histoire. Et bien qu’il y ait des choses surréalistes, notamment sur le plan visuel, la narration reste cohérente.Tout est compréhensible et fait appel à des imaginaires clairs et marqués. Chaque histoire a sa cohésion interne. Nous sommes loin du cinéma d’un David Lynch, maître du surréalisme, qui perturbe l’adhérence à la réalité au sein même de ses narrations perturbées, qui n’ont un sens que symbolique.

Les contes d’Hoffmann sont aussi un socle référentiel important du film. Crédit : Offscreen Film Festival

Cette narration étrange, suivie presque au long cours, vient sans doute du processus de création. Chino Moya a écrit le script en un week-end, dans une écriture fleuve au long cours inspirée des principes de l’écriture du flux de conscience. Cet aspect fluide fait que l’on passe d’une histoire à une autre assez naturellement, comme on passe d’un sujet de conversation à un autre. C’est un film patchwork qui bouillonne d’idées et d’inspirations,où l’on sent que Chino Moya a mis énormément de lui-même et de ses obsessions dans le film.

En bref, Undergods est une proposition originale, improbable et assez incroyable pour un premier film. Une œuvre d’artiste avant d’être un film, avec un projet fou de l’écriture jusqu’au résultat final. La démarche n’est pas sans rappeler celle de Tous les Dieux du Ciel, premier et sans doute seul film de l’artiste-créateur Quarxx qui a offert une proposition cinématographique hors norme, un petit bijou sorti de nulle part, personnel et incroyable.  A la fin de la rencontre, Chino Moya nous confiait être intéressé pour continuer dans le monde du cinéma et du format long. Espérons que les difficultés qu’il a rencontré sur le tournage (“endless difficulties” selon ses termes) ne le freinent pas dans ses envies de continuer, car avec un premier film si radical, si hors norme, si créatif, on a forcément envie d’en voir bien plus.

Chino Moya lors de la rencontre au Grindhouse Paradise. Crédit : L’Écran

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