Critique vice versa

Vice-Versa 2 : La Thérapie Cinématographique

Près de neuf ans après la sortie de son premier volet, Pixar revient avec Vice-Versa 2, en salle le 14 juin 2024. Pour Pixar, ce film représente l’espoir de renouer avec le succès passé du studio après le licenciement de 14 % de ses employés en mai dernier. Pari réussi ! Vice-Versa 2 a dépassé le milliard de recettes en seulement trois semaines et se classe parmi les cinq films d’animation les plus rentables de l’Histoire. Alors, à quoi doit-il ce succès ? Réalisé par Kelsey Mann et produit par Pete Docter, ancien réalisateur du premier film, Vice-Versa 2 s’impose comme une véritable thérapie cinématographique, impactant toute une génération de spectateurs. La suite reprend l’histoire de Riley, désormais adolescente, en proie à de nouvelles émotions.

Évolution et nouveaux personnages
Riley, maintenant adolescente

  Étude préparatoire de Riley pour Vice-Versa 2 ©Keiko Murayama

Riley a bien grandi et on peut le voir lorsqu’elle tente d’enfiler son mythique pull arc-en-ciel, désormais trop petit pour elle. Au-delà de son apparence physique, ses expressions et ses mimiques ont également évolué. L’animateur a effectué un travail remarquable à cet égard, rendant la scène de la rencontre entre Riley et la joueuse de hockey, dont elle est la plus grande admiratrice, extrêmement réaliste. On peut aisément reconnaître nos propres mimiques à cet âge.

Le chef décorateur Jason Deamer accompagné de la conceptrice de personnages Keiko Murayama discutent des personnages du film, le 21 mars 2024 aux studios d’animation Pixar à Emeryville, en Californie ©Deborah Coleman / Pixar

La conception des personnages est tout aussi réfléchie que dans le premier volet. Le choix des couleurs, des doubleurs, et même de la gestuel des émotions n’est pas laissé au hasard, et cela se voit !

Anxiété, l’hyperactive obstinée 

Étude préparatoire d’Anxiété ©Deanna Marsigliese/2024 Disney/Pixar.

Personnage phare de Vice-Versa 2, Anxiété est représentée en orange, avec une apparence évoquant une forme électrique – tendue et fragile. « On voit toujours le blanc de ses yeux, et ses cheveux en forme de plumes trahissent ses mouvements constants », explique Jason Deamer, chef décorateur. Anxiété est un personnage débordant d’énergie. La couleur orange rappelle à la fois l’énergie du personnage et son angoisse. Ses cheveux ébouriffés reflètent son angoisse constante et son aspect électrique. Le rôle d’Anxiété est important dans ce second volet car l’adolescent devient durant cette période de sa vie capable d’anticiper et d’imaginer des scénarios futurs. Ce phénomène est dû à une réorganisation massive dans le réseau amygdale-cortex préfrontal (PFC). Cette zone du cerveau, qui régit les émotions comme la peur et l’anxiété, tend à augmenter le sentiment de menace.

Envie, l’énergique avide

Étude préparatoire d’Envie ©Keiko Murayama/2024 Disney/Pixar

Envie, quant à elle, est de couleur bleu sarcelle et a une forme de champignon, plus petite par rapport aux autres personnages. Sa couleur, proche du vert, a été choisie pour établir un parallèle entre Dégoût et Envie. En effet, dans le film, Envie souhaiterait être comme Dégoût, dont elle envie la couleur, a précisé Kelsey Mann au Festival d’Annecy.

Embarras, le géant timide

Joie et Embarras ©2024 Disney/Pixar

Jason Deamer décrit Embarras comme un gentil géant rose, à la forme douce et ronde, symbolisant sa timidité et sa réticence. Malgré son désir de se cacher, sa taille imposante et sa couleur vive le rendent difficile à ignorer. Pour cette raison, les concepteurs lui ont ajouté un pull à capuche dans lequel il se réfugie lors de situations embarrassantes, même si son gros nez dépasse. L’embarras est une émotion essentielle, car elle montre que nous nous soucions de l’opinion des autres et nous aide à agir de manière réfléchie.

Ennui, la nonchalante

Ennui ©2024 Disney/Pixar

« Ennui a la posture d’une nouille molle. Elle est rarement assez intéressée pour relever la tête », explique Jason Deamer. Ennui incarne le sentiment de désintéressement et de snobisme propre à l’adolescence. C’est une émotion nécessaire pour s’émanciper de notre figure parentale et créer nos propres idées et valeurs. Ennui contrôle le tableau de bord avec son téléphone et est la seule émotion à parler deux langues, ce qui la rend plus « cool » que les autres émotions. À noter qu’il aurait été préférable de l’appeler « Nonchalance » plutôt que « Ennui », qui semble moins en accord avec sa personnalité. Cependant, cela aurait probablement été trop compliqué à prononcer pour les spectateurs non francophones.

Nostalgie, la prématurée 

Étude préparatoire de Nostalgie ©Crystal Kung/2024 Disney/Pixar

Nostalgie n’est pas un personnage central de ce second volet, mais elle apparaît à quelques reprises avant d’être renvoyée par les autres émotions. En effet, le personnage de Nostalgie réside au Siège, derrière une porte présente depuis le premier film. Initialement, cette porte devait mener au hammam de Colère dans le premier film. Toutefois, cette scène a été coupée, laissant ce fragment de décor intact. Cela a permis aux cinéastes d’introduire cette nouvelle émotion, que nous aurons très probablement l’occasion de revoir dans le futur.

Exploration des émotions propres à l’adolescence 

Il est essentiel de souligner le travail et la volonté de la production de représenter l’adolescence de manière la plus fidèle possible. Dès le début du film, nous revenons là où le premier volet nous avait laissé il y a neuf ans : une unité des émotions Joie, Tristesse, Peur, Dégoût et Colère au centre de contrôle. Ce calme passager est bouleversé par l’arrivée de la puberté, représentée par une équipe de démolition. 

Pour réaliser Vice-Versa 2, l’équipe de production s’est entourée de la psychologue et autrice Lisa Damoure spécialisée dans l’adolescence, ainsi que d’adolescentes de l’âge de Riley. Leur rôle était d’aider à retranscrire de la manière la plus fidèle possible ces émotions, et cela a été parfaitement réussi.

Le second volet reflète avec justesse les émotions complexes du « coming of age » : le besoin d’appartenance à un groupe, le rejet de sa propre personnalité pour plaire et être accepté par autrui, la recherche de soi, l’hypersensibilité, etc. 

Dans une vidéo pour la chaîne YouTube « Cinema Therapy », Kelsey Mann revient sur sa propre adolescence et montre comment cela l’a inspiré pour réaliser Vice-Versa 2 : « Je suis tombé sur des photos de moi à l’âge de cinq ans, c’était mon anniversaire […]. J’avais un grand sourire et ce n’était pas un jour ordinaire, c’était mon anniversaire, le jour où je célèbre qui je suis. Puis, j’ai regardé des photos de moi à huit ans et on peut voir mon sourire s’effacer. […] Et à 13 ans, je regarde juste le gâteau, j’ai l’air malheureux. » Il ajoute : « À cet âge, on devient préoccupé par le regard des autres, on devient conscient de nous-mêmes. Et j’ai commencé à ne voir que des défauts en moi. » 

À cela s’ajoute une grande sensibilité et irritabilité, représentées dans le film par un tableau de bord beaucoup plus sensible que d’habitude menant à des réactions disproportionnées face à certaines situations.

Intelligence émotionnelle

Ce qui fait la force de Vice-Versa 2 est son invitation à une intelligence émotionnelle. Le film nous incite à ne pas diaboliser nos émotions, mais plutôt à comprendre qu’aucune d’elles ne nous veut du mal. En effet, dans le film, le personnage de l’anxiété est représenté comme un véritable antagoniste, or comme Joie, elle souhaite avant tout le bonheur et la sécurité de Riley. Le film cherche à nous faire comprendre que l’anxiété a elle aussi un rôle à jouer dans notre vie, comme Anxiété le dit dans le film : « Peur protège Riley des choses qu’elle voit et je protège Riley des choses qu’elle ne voit pas. Je prévois l’avenir. ». 

C’est ce qui fait de ce film une véritable thérapie. Ce qui arrive aux personnages résonne avec les spectateurs, qui ressortent de ce visionnage avec une meilleure compréhension de leurs propres émotions. En normalisant les discussions sur les émotions et la santé mentale, Vice-Versa 2 joue un rôle crucial dans l’éducation émotionnelle et la promotion du bien-être mental.

Symbolisme visuel et son utilité dans la thérapie 

L’utilité de Vice-Versa 2 est reconnue même par les psychologues, qui peuvent l’utiliser comme outil thérapeutique pour aider les adolescents à identifier et comprendre leurs émotions. Bien que ce soit avant tout un film d’animation, le travail de recherche et la contribution de professionnels à sa création lui confèrent également une valeur scientifique.

La scène de crise d’angoisse a suscité un fort engouement sur les réseaux sociaux, permettant à de nombreuses personnes de s’y reconnaître et de trouver une représentation fidèle de leurs émotions pendant une crise d’anxiété. Ce phénomène est d’autant plus marquant qu’il est souvent difficile d’exprimer cette émotion, qui limite notre capacité à verbaliser notre ressenti. Ainsi, visualiser ce que l’on éprouve lors d’une crise d’angoisse est bien plus évocateur que de le décrire avec des mots, ce qui rend cette scène particulièrement significative.

L’anxiété y est dépeinte comme un hologramme qui dysfonctionne, illustrant une perte de contrôle sur ses propres émotions, représentées par une tornade électrique entourant le personnage. Cette scène est l’une des meilleures représentations cinématographiques d’une crise d’angoisse. Ce qui rend cette représentation percutante, c’est la combinaison de la souffrance du personnage et d’une illustration symbolique de l’intensité émotionnelle qui se déroule dans son esprit.

La morale qui en ressort est que, comme le dit Joie, « peut-être qu’on ne peut pas arrêter l’anxiété », mais qu’elle joue un rôle nécessaire dans nos vies. Il est essentiel d’apprendre à la contrôler afin d’en tirer le positif.

Humour et légèreté 

Étude préparatoire de Bloofy ©Dean Heezen/2024 Disney/Pixar

Bien que le film explore des sujets profonds et sérieux, les réalisateurs ont su intégrer un aspect comique très réussi, riche en références.

Les situations ironiques et les interventions de personnages comme Ennui et Dégoût allègent l’atmosphère. D’autres personnages moins en vue contribuent également à cette dose d’humour. Par exemple, Bloofy, inspiré de programmes télévisés pour enfants comme Dora l’Exploratrice, brise le quatrième mur à plusieurs reprises, faisant rire les spectateurs en les replongeant en enfance.

Le personnage de Slashblade, quant à lui, s’inspire de héros de jeux vidéo des années 2000. Peu puissant, il affiche un charisme décalé qui contraste avec ses attaques souvent ridicules.

Enfin, Vice-Versa 2 regorge de références au premier volet, ajoutant un comique de répétition. Pour ne citer qu’un exemple, le jingle de TripleDent fait son grand retour.

Possibilités inexploitées et questions sans réponses 

Même si le film fait référence à de nombreux éléments du premier volet, il est regrettable que des aspects pourtant centraux soient très peu mentionnés dans le deuxième film. C’est notamment le cas des îles de la personnalité (Amitié, Famille, Bêtise, Honnêteté, etc.), où seule l’île de la famille est évoquée. Il aurait été pertinent de parler de l’impact des actions de Riley sur les autres îles de la personnalité, en particulier celles de l’amitié et de l’honnêteté.

Il est également dommage qu’Envie n’ait pas pris une place plus importante dans le film, alors que, avec Anxiété, elle est l’émotion la plus présente dans les décisions de Riley. La place prédominante d’Anxiété fait en effet de l’ombre aux autres émotions qui ne sont que très peu représentées.

Certaines idées intéressantes, telles que la création de l’île de la Procrastination, n’ont pas été retenues. Lors d’une interview pour ComicBook, le réalisateur de Vice-Versa 2, Kelsey Mann, a abordé cette omission regrettable : « C’était une île qui avait un grand panneau qui disait ‘Terre de la procrastination’, puis ‘Bientôt disponible’. Et Colère disait : ‘Quand vont-ils commencer à construire cet endroit ?! Ça reste simplement là !’ Ils n’ont jamais rien construit. »

Cela est très probablement dû à un manque de temps. En effet, Vice-Versa reste un film d’animation destiné aux enfants et est par conséquent limité à une durée d’environ 1h30. Or, le film attire autant les enfants que les adultes ; il aurait été intéressant de rallonger un peu sa durée pour aborder d’autres sujets liés à l’adolescence. Néanmoins, Vice-Versa 2 reste intéressant à regarder car il dresse une  représentation assez fidèle de cette période de la vie. 

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