Diffusée depuis le 7 juin sur Disney+, la nouvelle série originale des studios s’attache à dépeindre le parcours de Karl Lagerfeld bien avant sa reprise de la maison Chanel comme directeur artistique. Le pari était ambitieux, et dans la lignée des mini-séries à la française réalisées autour de célébrités influentes de la fin du XXe siècle. Que vaut donc Becoming Karl Lagerfeld, réalisée par Audrey Estrougo et Jérôme Salle ? Rien qui ne justifie en tout cas le battage promotionnel qui se fait entendre depuis quelques mois.
L’Ennui.
Inutile d’y aller par quatre chemins : la série n’est pas captivante. La bande-annonce avait de quoi inquiéter, et les craintes s’avèrent malheureusement fondées. Les scènes s’enchaînent sans éclat, et à la curiosité succède vite la déception, puis la lassitude. Une hérésie, pour tous ceux qui connaissaient le dynamisme d’un Karl Lagerfeld survolté, enchaînant les contrats, les défilés, les vols internationaux pour répondre à une demande toujours plus grandissante. Dès les premières images de la fiction, la catastrophe se profile : ralentis, boîte de nuit, ambiance d’initiés du Marais, et rien ne permet au spectateur de réellement s’accrocher au déroulé du récit. Très vite, les scènes s’enlisent : les dialogues ne sont clairement pas à la hauteur des protagonistes qui les prononcent. Il manque une patte, du panache. La comparaison avec l’exceptionnelle série Tapie (récompensée par un BAFTA de la meilleure série étrangère amplement mérité) est malheureusement imparable : on aurait aimé retrouver la même fougue et surtout, une qualité d’écriture similaire. Une nonchalance globale et un manque de conviction terrible se dégagent de l’œuvre dans sa globalité. Pire, contrairement à Séguéla qui rendait son Bernard Tapie presque sympathique et beaucoup plus humain, rien ne nous donne, ici, l’envie de sympathiser réellement envers Lagerfeld. Les connaisseurs auront la sensation très désagréable de voir quelques phrases prélevées dans des interviews et documentaires copiées collées dans la bouche de Daniel Brühl, sans saveur ni réel intérêt. Sans vie.
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L’À peu près.
La vie de Karl Lagerfeld est si bien documentée, que la notion d’à peu près ne peut être évoquée, le concernant. Et pourtant. Au début de chacun des six épisodes, un texte en préambule argue qu’il s’agit bien d’une adaptation, et que des changements ont aisément pu avoir lieu au sujet des personnages, des lieux, des situations, etc. Une astuce bien pratique, qui permet aux deux réalisateurs de dérouler leur scénario sans avoir à souffrir de remarques concernant la fidélité des événements dépeints dans la série. Sauf que ça ne prend pas. L’intérêt de proposer une fiction comme celle-ci, serait justement dans sa fidélité de représentation de la vie de l’artiste. À vouloir louvoyer afin d’éviter la confrontation avec d’éventuelles critiques du public, il ne reste plus qu’un entre-deux aussi désagréable qu’inutile, tant pour les amateurs du travail de Karl que pour ses détracteurs, voire ceux qui ne connaissent que peu de choses de son parcours professionnel et personnel.
Un autre problème s’ajoute à ceux déjà évoqués : on ne se sent pas immergé dans les années soixante-dix (et non, se contenter des fameux œufs durs disponibles à l’époque sur les comptoirs de bistrots ne suffit pas, cette fois). Les décors inexistants ou insignifiants s’enchaînent, les vêtements ne reflètent pas autant qu’on le voudrait les mœurs de l’époque. Les croquis de mode et autres esquisses sont trop peu nombreux. La série aurait pu être tournée n’importe où ailleurs qu’à Paris ; il est difficile de situer là où l’action se déroule, et presque étonnant de ne pas entendre parler de la rue de l’Université, des noms de tous les endroits fréquentés par les figures du récit. La mise en scène reste terne, et lorsqu’on pense aux qualités de réalisation de Jérôme Salle (notamment avec ses Largo Winch), il y a de quoi rester tristement étonné. La bande-son n’échappe pas à ces mêmes écueils : aucune direction artistique précise ne semble aiguiller le tout pour former un résultat cohérent. Aux morceaux d’opéras agaçants et récurrents s’ajoutent des mélodies pâlottes, dont il ne reste plus rien à peine le visionnage terminé.
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Les Personnages.
De ce côté non plus, il n’y a pas grand-chose à louer. Seul Alex Lutz sauve un peu les meubles, fidèle à son talent et sa capacité d’interpréter n’importe quel protagoniste. Il incarne ici un Pierre Bergé collant sans difficulté à son image d’Épinal : rugueux, sévère, rigide et impitoyable. Le reste ne convainc pas, et c’est un comble lorsque le personnage principal de Becoming Karl Lagerfeld est incarné par un acteur certes brillant, mais qui ne parvient pas à camper comme il se doit la personnalité excentrique et unique du couturier. On aurait préféré un acteur moins connu que Daniel Brühl, une vraie “gueule” capable de correspondre au physique atypique de l’Allemand venu trouver la gloire à Paris. Exit la barbe et les cheveux noirs, le regard perçant derrière les lunettes fumées, l’accent à couper au couteau que l’homme a conservé jusqu’à ses derniers jours. L’échec est amer, le pastiche laisse dubitatif. Les autres figures de la série ne sont pas mieux loties : Jacques de Bascher, interprété par Théodore Pellerin, finit par insupporter à trop apparaître à l’écran, là où on l’aurait voulu plus mystérieux, insaisissable, se faisant désirer par ses absences ainsi que l’avait si bien compris Bertrand Bonnello dans son Saint-Laurent. On en vient forcément à regretter l’absence de Louis Garrel, lui qui avait si bien saisi l’essence du dandy épicurien. N’y avait-il donc pas mieux pour interpréter Marlène Dietrich (qui bénéficie néanmoins d’un traitement plutôt intéressant) ? Elisabeth Lagerfeld (dont la représentation à l’écran est bien loin des confessions que livrait son fils) ? Yves Saint-Laurent (dépeint en paumé absolu, à la limite du grotesque à chacune de ses apparitions) ? De mauvaise surprise en mauvaise surprise, les épisodes déroulent des personnages qu’on aurait voulu éclatants, vibrants, sensuels et énigmatiques, ce afin de rendre hommage à tous les visages de ce Paris mondain sans consistance à l’écran.
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Les Choix.
Une autre piste capable d’expliquer pourquoi Becoming Karl Lagerfeld ne fonctionne pas, réside peut-être en l’un des choix plus que douteux des scénaristes : celui d’avoir préféré se focaliser sur la relation entre Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher. Le premier, pudique, mal à l’aise dans le registre de l’intime, obsédé par le travail, par sa carrière et son ascension, s’oppose plus que jamais au second : errant de discothèques en bars sélects, consacrant son existence au néant, au sexe, à des projets d’écriture qui n’aboutissent finalement jamais. Leur romance a beaucoup fait parler et fantasmer. On peut comprendre l’envie de toucher du bout du doigt ce couple étrange et dysfonctionnel, sur lequel le grand public en sait si peu. Car, comme le répétait souvent Lagerfeld lui-même en interview : “C’est [Jacques de Bascher (et par-dessus tout sa mort, victime du Sida en 1989, ndlr)] pas un sujet de conversation.” On peut toutefois regretter que la série cède à un voyeurisme non seulement gênant et approximatif, mais qui par-dessus tout ne sert pas à dynamiser les enjeux ni l’histoire de ces deux hommes. D’interminables scènes de conversations, de disputes, d’incompréhensions, de réconciliations, jalonnent les autres épisodes consacrés au travail sur des modèles finalement vite balayés eux aussi. À vouloir tout faire en même temps, Estrougo et Salle font tout à moitié, et ne creusent aucun sujet comme on aurait voulu les voir le montrer à l’écran.
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Par ailleurs, on s’étonne de cette décision de focaliser le récit à cette période précise de la vie de Karl Lagerfeld. Au vu de la “qualité” de l’ensemble, une deuxième saison semble peu probable mais pourtant envisagée. Peut-être que le public aura la “chance” de découvrir les premiers pas du couturier lors de sa reprise de la maison Chanel vieillissante ? Rien n’est moins sûr, et encore moins qu’il s’agisse d’une bonne chose, en définitive.
Karl Lagerfeld aurait potentiellement méprisé cette semi-adaptation brouillonne d’une partie de son existence. La photographie digne d’un téléfilm, l’antipathie globale qui se dégage de tous les personnages, le manque de chaleur et d’éléments suffisamment captivants, ne sont pas dignes de l’histoire extraordinaire du couturier allemand. L’ennui règne, le propos reste vain. Ni la mode, ni ses créateurs, et encore moins la fiction française ne ressortent grandis de ces six épisodes poussifs du début à la fin. Dommage.