Creaturas couv

Exploration de mon(stres)des intérieurs : Creaturas

Julián est un talentueux concepteur de jeux vidéo spécialisé dans le chara-design de monstres et êtres étranges. Introverti et sujet aux crises d’angoisse, il fait tomber ses barrières lorsque Diana s’intéresse à lui. Mais la conception d’une nouvelle créature virtuelle va peu à peu l’obséder, mettant en péril sa relation naissante avec Diana et pervertissant son rapport à la réalité… 

Bande-annonce de Creaturas 

On vous parlait déjà il y a quelques années de la richesse du cinéma de genre espagnol : Creaturas prouve une fois de plus que les talents ibériques se révèlent en s’emparant des univers fantastiques. Sur une toile de fond relativement conventionnelle (une fable à la Belle et la Bête, bourrée de tropes classiques du conte noir contemporain), Carlos Vermut brode une histoire très fine où la frontière entre le réel et le virtuel s’amincit, sans jamais pour autant tomber dans la condamnation superficielle des formes de divertissement numériques pourtant parfois sermonnée à l’écran. Propos d’ailleurs bien ironique quand on sait qu’au début du siècle, c’est le cinéma que l’on accusait d’abrutir les masses… Au contraire Creaturas explore intelligemment le médium vidéoludique et lae traite avec la dignité d’un art, honneur encore hélas bien trop rare sur grand écran. 

Julián, personnage travaillé qui fait honneur aux métiers du jeu vidéo. Crédit : Cinespaña

C’est mon premier contact avec le cinéma de Carlos Vermut, pourtant prisé après Nina de Fuego et Quien te Cantara. Je le connais surtout pour être le scénariste d’Abuela, un coup de cœur Cinespana de l’an dernier dont je vous parlais dans cet article. Parmi ses autres talents, Carlos Vermut est également illustrateur. Un sens de l’esthétique et de la plastique qui se remarque dans la photographie de son film aux couleurs souvent saturées rappelant l’univers des comics. Ses cadrages et son montage s’en trouvent aussi influencés : dans Creaturas le temps dure, comme si les plans restaient figés, cases de BD sur lesquelles l’on peut s’attarder à l’infini pour mieux saisir l’horreur de certaines scènes. À ce titre, la séquence de l’incendie est une des plus marquantes de l’année 2023 tant d’un point de vue sémantique que plastique.

Un sens de l’esthétique irréprochable dans Creaturas. Crédit : Cinespaña

On pourra bien sûr reprocher une certaine lenteur au film. Carlos Vermut s’épanouit dans un cinéma noir et pesant où les protagonistes, souvent très en intériorité, évoluent parcimonieusement. Mais cette relative torpeur ne souligne que d’autant plus les angoisses du personnage et nous plonge dans un état de sidération lorsqu’arrive l’horreur. L’approche peut parfois paraître froide, mais elle n’est qu’un ressort d’autant plus efficace quand on comprend la métaphore derrière la créature fantasmée de Julian… Une intrigue que je me garderai de vous révéler, mais qui parle d’un sujet glaçant, avec une froideur, mais aussi un recul et une pudeur qui l’honore. Creaturas s’épanouit dans les silences, les ombres, le temps qui s’étire et s’étiole. Et l’horreur distillée persiste dans les esprits bien après la séance. Un des films les plus marquants de cette sélection Cinespaña 2023, à découvrir vite lors de sa distribution en salles ! 

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