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INTERVIEW DAMIEN WITECKA : “DiCaprio reste un artiste particulier. Des gars qui ont marqué leur époque comme lui, il n’y en a pas tant que ça.” 

Dans le cadre du Toulouse Game Show 2024, nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer pour la seconde fois Damien Witecka, acteur et comédien de doublage, plus connu pour incarner la voix de Leonardo DiCaprio, celle de Jared Leto, voire de Tobey Maguire, entre autres. L’occasion de parler choix de carrière, binge-watching et dilemmes  artistiques. 

Comment se passent vos retrouvailles avec le public du TGS ? J’ai assisté à votre conférence et vous avez l’air très à l’aise dans vos interactions, tour à tour drôles et émouvantes. Qu’est-ce que vous tirez de ces échanges avec les visiteurs qui viennent vous voir ? 

Ce que j’en retire toujours, c’est un plaisir, c’est une surprise ; parce qu’on ne sait jamais sur qui on va tomber, et comment vont se passer les échanges. Alors d’une année sur l’autre, je retrouve quand même deux ou trois personnes qui sont déjà venues. Mais moi, chaque fois, je me dis : “Qu’est-ce que je vais pouvoir raconter de neuf, par exemple dans les conférences, quel angle adopter pour éviter la redite ?” Puis bon, heureusement, d’un jour à l’autre, les questions varient en fonction des gens. C’était très sympa. Et puis ça dépend aussi de l’alchimie qui se passe entre nous quand on est plusieurs comédiens sur la scène. Comment ça rebondit entre nous, via la complicité qu’on peut avoir. On s’entend tous bien en général. On se connaît depuis un moment. 

Avec Boris Rehlinger ça a l’air de très bien se passer ! 

*Rires* Oui ! Et puis voilà, on s’estime, on a même de l’admiration les uns pour les autres, par rapport aux qualités différentes de nos collègues. Donc le but c’est de me dire : bon, est-ce que je vais réussir à trouver un angle intéressant ? Parfois on fait des confidences, on en arrive à évoquer des choses qu’on n’a pas racontées depuis longtemps, ou qu’on n’a pas racontées du tout, et l’intérêt est là. 

Concernant le prochain doublage de Leonardo DiCaprio, est-ce qu’un nouveau projet est en vue ? 

Alors je sais qu’il a terminé son tournage, je pense qu’il y a un film qui pourrait arriver pour l’été prochain. Et la question se pose à chaque fois : il y aura peut-être une audition. Est-ce que ce sera moi ? Est-ce que ce ne sera pas moi ? Je n’en sais rien. 

Êtes-vous toujours un peu obligé de faire des auditions face à un autre comédien de doublage, en l’occurrence Damien Ferrette ?

Ça dépend des fois, et ça dépend du client. 

Si c’est Sony, par exemple…?

Si c’est Sony, à mon avis ils vont reprendre Damien Ferrette. Autrement, les cartes sont rebattues. 

Est-ce que vous arrivez à prendre du recul par rapport à cette situation ?

Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête des distributeurs. De toute façon, quelle que soit l’audition : quand on n’est pas pris, on est toujours déçu. Alors je préfère ne pas y penser, pour rester léger par rapport à ça, et ne pas me mettre la misère. *rires* 

En conférence tout à l’heure, vous avez dit quelque chose d’intéressant : vous avez qualifié Leonardo DiCaprio d’ovni. Est-ce que vous pensez que cet acteur pourrait encore vous surprendre, en termes de rôles comme de performances ? 

Oui, il continue de me surprendre. Je le connais maintenant, donc il me surprend un peu moins, mais à chaque fois je trouve qu’il a l’art de rendre des situations denses passionnantes, parce qu’il y met une dimension qui lui appartient. C’est drôle, je repense à ce moment où Joaquin Phoenix avait reçu un Golden Globe pour Joker quelques semaines avant les Oscars, et DiCaprio était dans la salle. Phoenix est monté sur scène, et il a commencé son speech en disant qu’il était content d’être là, parce que lorsqu’il était jeune comédien et qu’il passait beaucoup de castings, on lui répondait à chaque fois : “Non, c’est Léo qui a eu le rôle”. Il réussissait tous les castings et il lui prenait tout le boulot. DiCaprio, ça le faisait sourire. Mais c’est vrai qu’à un moment, ce mec, c’était un raz-de-marée, quoi. C’est-à-dire que tout d’un coup, il est devenu incontournable. Donc il reste un artiste particulier, parce que des gars qui ont marqué leur époque comme lui, il n’y en a pas tant que ça. 

© Insider

Il paraît que c’est Johnny Depp qui, au début de la carrière de DiCaprio, l’aurait aiguillé en lui donnant beaucoup de conseils, notamment en l’avertissant de ne pas accepter tous les castings, et de bien choisir ses personnages. Conseils qui se sont de toute évidence avérés bénéfiques parce que c’est vrai qu’on a du mal à trouver un film dans lequel on se dirait : “Ah, il n’aurait peut-être pas dû jouer ça”. J’ai par ailleurs bien aimé le fait que vous ayez mentionné le film Basketball Diaries pendant la conférence, qui est en effet un film peu connu en France. Qu’est-ce que vous pensez de son évolution depuis cette époque, de ses choix de rôles ? Est-ce qu’il y en a pour lesquels vous-même, vous vous êtes dit que ça n’avait pas été un bon choix de sa part, ou que certains étaient moins intéressants ? 

Ça va être un peu subjectif forcément, mais globalement, sur tous les films où je me suis retrouvé avec lui, j’ai toujours vécu ça de façon passionnante. Je dirais que ceux qui m’ont le moins intéressé, ce sont ceux sur lesquels j’avais moins le nez dans le guidon, donc ceux où ce n’était pas ma voix. Et quand je les ai vus, comme par exemple J. Edgar, j’ai eu du mal à rentrer dedans. Je l’ai regardé en VO, parce que j’ai vu ce qui se passait en VF, et que je ne suis pas fan de mon remplaçant. Malgré tout, j’ai eu du mal à rentrer dans le film, je ne l’ai pas vu en entier. Je n’ai pas vu Gatsby le Magnifique, alors que j’aime bien Baz Luhrmann, mais il y a aussi le fait qu’on n’est pas forcément attiré par tous les films (d’un même réalisateur/acteur). Et quand j’ai vu Inception, j’ai trouvé ça vachement intéressant, mais j’ai été déçu, quelque part ; alors que je trouve que Christopher Nolan est un grand réalisateur. Néanmoins, il y avait quelque chose dans la dimension onirique qui ne m’a pas complètement emporté. En fait c’est drôle, à partir du moment où on est moins impliqué, on a plus de distance. 

Est-ce qu’il y aurait un rôle qu’il n’a pas encore incarné, et qu’il vous plairait de pouvoir doubler ? Quelque chose qui vous ferait rêver pour un personnage qu’il n’a pas encore exploité ?

Ce que je trouverais insolite et étonnant, ce serait de l’entendre sur un film d’animation. Il y en a d’absolument magnifiques. Il n’y a pas longtemps, j’ai vu Le Robot Sauvage avec mes enfants, et nous avons adoré. Et je trouve qu’on peut avoir une part de créativité géniale dans le dessin animé. J’aimerais bien qu’un jour il se hasarde dans ce domaine. 

© Legendary/Hulu

Et vous, quel genre de cinéma vous plaît ? Est-ce que vous êtes un consommateur de séries ? 

J’aime être retourné par une série. Le problème c’est qu’après je ne retiens pas forcément les noms… *rires* Si ! Il y en a une que je trouve formidable et qui date un peu, et je me la refais en ce moment : ça s’appelle The Looming Tower, qui évoque comment et pourquoi le 11 septembre 2001 a pu arriver.  Pourquoi les deux avions se sont encastrés dans les tours ? Comment ça se fait que les Américains ont subi ça et n’ont pas pu l’empêcher ? C’est là qu’on apprend la genèse de cette tragédie, avec l’influence d’Al-Qaïda et de Ben Laden, mais c’est aussi là qu’on se rend compte que tout a commencé bien en amont. Il y avait déjà eu des attaques contre des ambassades américaines, qui ont été victimes d’attentats plusieurs années auparavant : à Nairobi au Kenya, et à Dar es Salam en Tanzanie. Ensuite, il y a eu cet attentat au large d’un port du Yémen, avec un vaisseau américain pris pour cible par une chaloupe qui s’est faite sauter. À partir de là, ce qu’on apprend – c’est dingue, c’est toujours le facteur humain qui joue là-dedans – c’est qu’en fait, le FBI devait bosser conjointement avec la CIA, et que la CIA a tout fait pour savonner la planche du FBI. Il y a eu de la rétention d’informations. Et c’est comme ça que tout est arrivé. C’est terrible, de se dire que c’est comme ça que ça s’est passé. Et je trouve la série dingue. Moi, quand je suis rentré dedans, je me suis laissé totalement happer, je n’arrivais plus à lâcher, j’ai dû la voir en deux jours. J’ai fait deux nuits blanches pour enchaîner les épisodes, je ne pouvais pas lâcher. *rires* 

Vous faites ça alors ? Vous faites du binge-watching

Ça m’arrive, ça m’arrive ! En général, quand je sais que je peux le faire, parce que sinon ça peut être difficile de s’occuper de sa petite famille le lendemain matin !

Et du coup, vous avez vu Homeland ? Ça devrait vous plaire ! 

Alors… *rires* Ma compagne m’en a beaucoup parlé mais non, je n’ai pas vu Homeland

© Fox 21 Television Studios

Et si vous deviez garder un ou plusieurs de vos films préférés sur lesquels vous avez travaillé, qui vous a impacté jusque dans votre méthode d’interprétation ? Je sais que ce genre de classement peut changer, mais on ne sait jamais

Celui qui m’a bien poussé dans mes limites, ça reste Le Loup de Wall Street, parce que c’était un challenge terrible. Après, il y aussi d’autres expériences, pas uniquement en tant que comédien de doublage. Dans ma vie, il y a eu des spectacles où je me suis dit : “Qu’est-ce que je vais faire ?” Parfois, on se dit “Mais est-ce que je vais être capable d’être à la hauteur du rôle ? Là, j’y arrive pas.” Et parfois on a des paniques, et on se dit “J’y arriverai pas, j’y arriverai pas, je ne sais pas comment je peux faire, j’y arriverai pas.” Là on se met minable, et on bosse comme un dingue et on se dit : “Si, si, si, c’est ça ou la mort. Bon ben, c’est ça alors.” 

Ah oui carrément ? 

C’est ma méthode à moi, ce sont mes démons perso qui m’assaillent, et qui même m’empêchent de dormir. À un moment, je passe par plein d’états différents, jusqu’à ce que je finisse par dépasser ça. Et puis après, quand on se retourne on fait : “J’l’ai fait. J’l’ai fait, pfiou.”

Et en tant que spectateur, vous seriez plus cinéma américain ou cinéma français ? 

Je suis baba parfois, devant le professionnalisme des Américains, que je trouve vraiment très forts. Mais il y a des perles françaises… Par exemple, j’ai adoré Le Bureau des Légendes. C’était ma madeleine à un moment, ça. J’ai adoré, je trouvais ça génial. Au niveau de tout : de l’écriture, du jeu… C’était le genre de séries où je me disais : “À la fin de la scène, il faut que j’aille aux toilettes, je fais pause.” Et puis la fin de la scène arrivait et puis là je me disais : “Non je peux pas, je reste, ohlala putain, c’est pas vrai.” J’adorais.

© TOP-The Oligarchs Productions / Souslegende.com

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter, là ? Est-ce que vous vous sentez pleinement épanoui, notamment dans votre carrière ? 

Encore plus de boulot, encore plus de bonheur, encore plus d’accomplissement personnel. Je pense vraiment à ça, parce qu’on vit dans une société qui est tellement violente. On marche sur la tête. On sombre dans une forme de barbarie peu à peu, dans un contexte économique totalement incertain, et dans une société où il n’y a plus de civisme, où les gens se replient sur eux ou sur leur communauté. On est dans un monde qui fait peur. Et c’est pour ça que je me souhaite un peu d’espoir ! 

Un énorme merci à M. Damien WITECKA ainsi qu’à l’équipe TGS événements qui nous a offert l’opportunité de cette rencontre.  

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